VISION DE LEA DAAN par Marijke Von Heddeghem
Lea Daan donna dans les années trente à Anvers une impulsion initiale prépondérante pour le développement de la danse moderne en Flandre.À des générations de danseurs et d'acteurs elle a transmis les principes essentiels développés par Rudolf Laban. Elle-même, après avoir débuté une formation musicale, se consacra entièrement à la danse lorsqu'elle découvrit l'école d'Essen, dirigée par Kurt Jooss où, après avoir du apprendre l'allemand, elle poursuivra ses études de danse. Elle suivra également l'enseignement d'Albrecht Knust à Hambourg et s'initiera avec lui à l'écriture du mouvement et l'analyse de l'espace. C'est auprès de Rudolf Laban, à cette époque encore à Berlin, qu'elle découvrira la philosophie qui sous-tend ce mouvement de danse, la volonté de rapprocher la danse des gens et l'importance du travail de groupe, des choeurs de mouvement.
En 1931, diplôme en main, elle rentre en Belgique pour y fonder son école qu'elle tiendra ouverte jusque dans les années quatre-vingt. Les disciplines principales enseignées resteront pareilles tout au long de ces années : gymnastique dansée, ballet, choeur de mouvement, étude de l'espace, du rythme et de l'expression. C'est à ce moment que la jeune Paula Gombert décidera de changer son nom afin d'affirmer son identité artistique en-dehors de sa famille originaire. Son école connut un succès immédiat dû à ses qualités pédagogiques et son enthousiasme communicatif Tout en poursuivant sans interruption ce travail d'enseignante, elle créera également nombre de spectacles, oeuvres solos ou compositions de groupes, brassant les idéaux qui lui tenaient à cur. Ses premières chorégraphies sont interprétées par des femmes : Karin Gross, Jeanne Brabants, Trui Hoste, et elle-même. Elles traitent de thèmes populaires tels "Boerendans" (La danse des paysans), "Vrouwen" (Femmes) ou "Arme mensen" (Pauvres gens). En plus des tournées étendues en Flandre ces deux dernières pièces seront également présentées à Berlin lors du festival de danse qui se déroula durant les jeux Olympiques de 1936.Plus tard son penchant ira vers les grandes uvres éiques comme "Jeanne d'Arc" ou "Dulle griet". La chorégraphe prêtera aussi sa participation à de nombreuses fêtes populaires, processions, défilés de masse qu'elle mettra en rythme et en espace.
Très vite Lean Dana sera appelée à enseigner au Studio van et National Toner, qui deviendra en 1946 le Studio Hermann Teirlinck, ainsi qu'au Muziekconservatorium d'Anvers. Son influence s'étendra donc aussi aux acteurs et aux musiciens et plus d'un fut marqué de la rigueur de cet enseignement. Aifons Goris, e. a., qui deviendra par après un des piliers fondateurs de l'école Mudra. Alors qu'Alfons Goris s'attache ci-dessus à décrire au plus précis les bases de l'enseignement qu'il reçut de Lea Daan, Maryke Van Heddeghem, qui fut son élève et assistante durant ces quinze dernières années, a choisi d'en livrer plutôt l'esprit. Avec l'authenticité d'une disciple fidèle elle a cherché à retranscrire au plus juste les paroles par lesquelles cette pédagogue passionnée transmettait l'essence de son art.
'intérêt de la vision de Lea Daan est d'avoir réussi à rendre accessible et plus compréhensible l'oeuvre compliquée de Laban.
Selon elle, la théorie de l'espace et de l'expression était de grande importance dans la formation de la personnalité du danseur et de l'acteur ainsi que dans son application au théâtre et à la danse. Elle a démontré qu'il y a également des rapports à établir dans divers domaines tels que l'architecture, la physiothérapie, la gymnastique, etc... pour finalement les développer et les étendre à la nature, l'entité cosmique et l'infini.
Lea Daan était une pédagogue de grande valeur, elle avait une connaissance profonde de l'homme sous tous ses aspects et transportait l'idée de l'universalité.
Dans les pages qui suivent, quelques aspects de sa vision de la théorie de Laban sont éclaircis.
1. SE MOUVOIR, C'EST DE LA COMMUNICATION
Se mouvoir, c'est de la communication. Le corps parle une langue. Telle était l'opinion que Lea Daan avait coutume de défendre lors de ses exposés sur la théorie de l'espace et de l'expression. Se mouvoir ne peut donc jamais être qu'un acte utilitaire mais implique que chaque mouvement part d'un but dont l'origine se trouve dans le corps et qui va donc de l'intérieur vers l'extérieur. (Le point de départ est une impulsion qui part de l'intérieur, du centre). Ainsi le mouvement s'élève au niveau de la communication. et transmet un message chargé d'émotions, de couleur, de tension et de sensibilité. Ici notre tension dirigée, ce que nous voulons ~:communiquer à notre entourage par notre façon de mouvoir mérite tout particulièrement réflexion.
Dans la danse, dans le théâtre et même au quotidien, nous nous montrons sous un certain angle, nous nous dévoilons et ceci uniquement par notre manière de bouger. De ce point de vue, il devient donc capital de pouvoir se mouvoir de façon juste, selon le bon rythme et en mettant les accents qui, en tant qu'individu nous permettent de mieux faire capter notre message (communication exacte).
2. LE CORPS, CEST UN INSTRUMENT
En termes d'émission et de transmission, notre corps peut être considéré comme un instrument. Nous pouvons même pousser la comparaison plus loin et le voir comme un instrument de musique, dont la construction a été affinée de telle façon qu'il transmet exactement toute sonorité voulue. Pour Laban, le corps est un instrument, dont la première caractéristique réside dans le fait que tel un instrument de musique, l'on puisse l'accorder.
Accorder l'instrument du corps signifie développer sa sensibilité dans l'espace. Cette sensibilité accrue a éveillé ou affiné une certaine gamme de couleurs et d'aspects dans le corps et donc chez la personne (le danseur, l'acteur), qui lui permettent de communiquer de façon authentique. De par le langage du corps, il sait développer son propre pouvoir
créatif indépendamment des dictons de la mode, de l'imitation ou d'images reçues et il lui devient possible de propulser ses propres idées.
Invariablement, cette méthode confronte le danseur, l'acteur ou la personne à elle-même et ouvre la voie à l'auto-critique lors, les messages (artistiques) deviennent très crédibles et convaincants, car nourris par une source très profonde. C'est ce qu'on appelle savoir jouer de l'instrument. Ou encore : être capable de communiquer des messages exacts.
Il s'ensuit également que chaque artiste dispose d'une connaissance et d'une maîtrise totale de son propre corps-instrument, grâce auxquelles il peut, corps et âme, insuffler sa force et son inspiration créatrices à tout rôle ou mouvement imposé. Il lui est possible en tant qu'artiste et être humain de s'investir de manière encore plus "totale et présente", selon son inspiration et sa créativité. (l'individu a la possibilité de rester fidèle à lui-même)
3. SENSIBILITE ET EVOLUTION VERS UNE PENSEE COSMIQUE"
Afin de communiquer correctement par le corps une prise de conscience est nécessaire. Etre conscient signifie connaître ses mouvements et leur but, savoir que ce sont des impulsions qui partent du centre du corps et dont le mouvement va vers l'extérieur. Un corps conscient est sensible à l'espace. Cette technique-ci développe une conscience dans les trois dimensions.
Il s'agit également de l'expérience de la sensation, du mouvement: la sensation du geste.
Lorsque l'on exécute par exemple un mouvement en avant, cette technique veut que l'on développe la conscience du déplacement vers avant ainsi que la perception de la distance à parcourir.
Il s'agit du parcours lui-même, de la distance qu'on traverse. En ressentant exactement les tensions de l'espace, aussi bien dynamiques que statiques, toute la signification et le sens du mouvement sont mis en valeur. Nous nous trouvons maintenant en présence d'une conception nettement plus grande, notamment l'éternité. Se mouvoir en éternité signifie avoir conscience de tout ce qui nous entoure et dans cet éveil oser explorer des nouveaux domaines ce qui, à son tour, mène vers des nouvelles idées et créations et stimule l'évolution constante de la personne. L'évolution de la personne en mouvement à travers les tensions statiques et dynamiques est comparable au système respiratoire.
Chaque inspiration ou expiration a un sens et fait partie d'un chemin à suivre. L'homme qui respire et évolue, est intégré dans cette plus grande entité qu'est la pensée cosmique, et c'est lui qui pourra repousser les limites de la sensibilité.
4. ORDRE - CHAOS - CONSCIENCE - QUALITÉ LUDIQUE
Laban a subdivisé en catégories tous les mouvements, rythmes, intensités; il a réparti l'espace en directions, diagonales, surfaces, a fait la distinction entre mouvements stables et instables, etc.
Son étude sur la conscience du corps lui a permis de créer une, grande classification et d'optimaliser l'application de son système dans différents domaines (danse, théâtre, observation,...)
Il est remarquable que c'est justement lui qui a considéré le terme "chaos" comme un des principes de base de la théorie du mouvement.
La chute dans l'éternité et la continuelle remise en question d'un certain ordre existant sont un moyen pour libérer les tendances plus centrales. Ceci revivifie le processus de mouvement créatif. Tomber dans le chaos signifie pour l'homme perdre la face, oser se libérer, oser montrer ce qui reste caché derrière le masque structuré de l'éducation et de la culture et se défaire totalement des tensions et des fixations. C'est de par le chaos que va le chemin vers un ordre plus fondé où l'on canalise les forces centrales vers une énergie plus périphérique qui, à son tour mène vers des buts culturels plus élevés.
Lea Daan a toujours comparé la doctrine de Laban à la nature. C'est là que l'on retrouve en parfaite harmonie tous les éléments du système cinétique, l'espace, le rythme et l'expression, sans qu'il y ait cette rationalisation exagerée, ou cet intellectualisme poussé vers lesquels l'homme penche parfois.
Nous parlons de mouvements en termes d'impulsions dont le centre est le corps.
Ce processus de mouvement a un caractère intuitif et constitue une expérience sensorielle. Si l'on ne tient pas compte de l'élément intuitif et impulsif du mouvement, on en néglige une caractéristique très importante qui est l'aspect ludique. L'élément ludique est intrinsèque au mouvement.
5. LIMAGINATION
Sans imagination, il est impossible de comprendre et de vivre l'espace. N'évoquons que des termes tels que mouvement en arrière, l'infini, central, etc.... et nous constatons que ceux-ci, dénués d'imagination, deviennent creux et sans objet.
Ainsi, nous connaissons le développement de la culture du sensoriel à travers l'imagination.
Dans son étude de l'espace, Lea Daan mettait l'homme en tant qu'être qui respire, qui réfléchit et qui a des sensations au centre de la nature et du COSMOS.
Elle mettait l'accent sur les éléments centraux et périphériques. La qualité, l'authenticité et la créativité y remplaçaient la quantité, la fixation et la répétitivité. Sa plus grande préoccupation était la préservation du plus pur, du plus original et de la diversité de l'être humain.
Traduction: Cristina Robijn
Maryke Van Heddeghem, formée auprès de Lea Daan aux principes de Laban et de Kurt Jooss, enseigne au département d'art dramatique du Lemmensinstituut à Louvain, et au Conservatoire de Gand. Elle fut pendant dix ans l'assistante de Lea Daan.