LABAN PAR PATICIA KUYPERS

Laban peut être considéré à juste titre comme le père de la danse moderne européenne, comme un homme de théâtre, comme Un professeur visionnaire, comme l'initiateur de la thérapie par la danse, comme un innovateur de l'étude du travail industriel, comme un théoricien du mouvement, comme un chorégraphe et interprète, comme 1 "inventeur d'un système de notation chorégraphique, comme un homme politique pour la danse. je pourrais vous parler de son style de vie caméléon, qui passa du cadet militaire débonnaire, au peintre bohème et à l'homme d'affaire, mais également du dépressif mental au joyeux mime, du conférencier érudit à l'amant passionné. Je suggère cependant de nous concentrer aujourd'hui sur deux qualités qui lui étaient chères, plutôt que de vous donner une vue générale mais superficielle de sa vie.

 

Laban se situe avant tout comme artiste et comme chercheur, deux qualités qui se complètent. Nous avons actuellement tendance à considérer ces aspects comme distincts ou ni me mutuellement exclusifs. Il est évident qu'il existe 'des chercheurs qui ne sont pas artistes et inversement. Ce ne fut pas le cas pour Laban. De là découle le fait que la plus grande partie de son oeuvre cherche à trouver un équilibre entre des contradictions apparentes et à démontrer comment les opposés dépendent l'un de l'autre. Comparons donc ces deux descriptions de sa vie et voyons comment elles se manifestent dans son travail.

 

Laban commença sa carrière artistique comme peintre et étudiant en architecture à Paris. Il s'intéressa au corps et au comportement humain ainsi qu'au lien qui existe entre le statut social, les humeurs personnelles et les constructions et espaces dans lesquels les personnes fonctionnent. Il développa ainsi une vision de la façon complexe et stimulante dont les êtres humains se comportent en interaction dans l'espace. Il découvrit peu après , que la danse et le théâtre proposaient un moyen plus complet pour explorer ces idées. Il abandonna la représentation graphique du mouvement pour l'interprétation théâtrale. Il ne se consacra totalement à la danse et au mouvement qu'à l'âge de 33 ans. Comme très peu de recherches dans le domaine du mouvement existaient, il se considéra à la fois comme artiste et comme chercheur.

 

Laban, comme chercheur, est essentiellement connu en tant que créateur de la labanotation et de la labananalyse. Mais ses recherches sont bien plus étendues. Il ne s'agissait pas seulement d'analyser le mouvement, mais de mettre en question le rôle du théâtre dans une culture en pleine mutation. Dès le début des années 20, ses écrits font ressortir les nécessités de la représentation théâtrale: faut-il divertir le public OU Commenter leur vie et célébrer leur humanité? Quel est le rôle du théâtre dans une société socialiste moderne? Le théâtre municipal traditionnel peut-il accueillir un public contemporain ou n'est-il que le vestige de privilèges et de patronages dépassés? Le rôle du public doit-il rester limité à celui de spectateur ou peut-il s'étendre à une participation plus active? La danse pour tous est le slogan de Laban: tout le monde devrait pouvoir danser des oeuvres contemporaines dans un but de développement personnel.

 

Le critique et auteur Hans Brandenburg, ainsi qu'Eugen Diederichs, l'éditeur socialiste, furent ses porte-paroles, avec le philosophe Nietzsche et le psychiatre Jung comme catalyseurs intellectuels...

 

Laban mit les éléments du mouvement en évidence, ainsi- que leur rôle dans les différents aspects de l'art du mouvement: dans la danse bien évidemment, mais également dans la production de sons, dans l'expression verbale et dans la création de formes plastiques. En tant que créateur, il synthétisa ces éléments dans des représentations expérimentales, pas uniquement en danse. Vexpérimentation, par essais et erreurs, soustendue par de nombreuses lectures et par l'observation attentive des comportements humains, fut sa méthode priviliégiée à partir de 1900 à Paris jusqu'en 1958, à sa mort, à Addelstone en Angleterre.

 

De 1923 à 1926, il expérimenta avec ses danseurs, produisant des dizaines de chorégraphies. Nous pouvons comparer cette méthode avec celle du groupe de la judson Church, quarante ans plus tard à New York, la démarche créative étant souvent plus importante que le produit fini. Il joua ainsi avec les éléments suivants:

 

-la juxtaposition de danseurs aux morphologies et âges différents, ceci en opposition avec les priorités accordées à la jeunesse et au corps stéréotypé dans le ballet classique. Il estima que tout corps a sa beauté particulière et chaque âge un potentiel et une signification expressive propres.

 

-la mise en évidence de danseurs masculins autant que féminins, à une époque où les danseurs masculins étaient peu nombreux. Il reconnut que la féminisation de la danse entrainaît sa marginalisation, alors que les danses populaires gardaient leur caractère vigoureux grâce au nombre élevé et à l'énergie virile des danseurs masculins.

 

_le développement de styles de mouvement personnels, en contraste avec le vocabulaire commun à tous les danseurs dans le ballet classique. Ceci correspondait à son désir de renforcer chaque individualité. Permettre à chacun d'être responsable et de révéler sa propre physicalité et sa personnalité. Que chacun découvre ses propres qualités dynamiques, était primordial.

 

-l'indépendance du mouvement par rapport à la musique, contrairement à la dépendance totale des danses populaires ou du ballet classique.

 

Selon Laban, la danse est un art autonome, qui s'appuie sur le inouvement. Celui-ci ne devrait pas être renforcé par un accompagnement. Il peut être décrit par une méthode de notation spécifique et de ce fait être considéré comme un art à part entière aux côtés du théâtre et de la musique.

 

-les sons peuvent être produits par le corps, par des instruments de percussion maniés par les danseurs ou des paroles exprimées par un choeur. La musique de danse peut être composée après la chorégraphie par des compositeurs contemporains, par du chant a cappella ou de l'improvisation sur un seul instrument. La musique, si elle est employée, est subordonnée au mouvement, et cela en dépit du goût du public traditionnel pour des partitions mélodieuses et romantiques.

 

-les costumes sont simples (sauf quand la compagnie disposait de fonds suffisants). La même danse pouvait être dansée avec des costumes différents, dans la même soirée, pour voir l'effet des costumes sur l'expression de la danse.

 

-la mise au point de stratégies d'improvisation sur une structure donnée ou en groupe sur un thème donné. La formation que Laban donnait à ses disciples développait leur confiance dans la production spontanée de mouvements et dans les réactions aux mouvements des partenaires. Il chorégraphia cependant également selon des structures construites.

 

-la chorégraphie de petites danses, catégorisées comme "décoratives" (mais que nous pourrions définir plutôt comme des formes abstraites), comme "extatiques" (ritualisées ou s'approchant de la prière), ou "rythn-liques" (sur des structures dynamiques abstraites), "grotesques" (satyriques, mettant la laideur en évidence), "stylisées" (basées sur des danses populaires ou anciennes). Les danses plus longues peuvent être considérées comme des poèmes, des drames ou des comédies dansées. Ce très large éventail de répertoire garantissait que son public, fidèle chaque semaine, ne s'ennuierait jamais, mais serait plutôt stimulé et provoqué.

 

-des expériences dans des lieux autres que les théâtres pour éviter que la danse ne soit un art élitiste qui maintienne des distances vis-à-vis de son public et des essais de mise en scène avec des formes géométriques abstraites, des scènes sur des niveaux différents afin de mettre les danseurs en relation avec l'espace architectural de façon stimulante.

 

Le personnage politique de Laban est évident dans "Grünen Clowns", qu'il créa avec Dussia Bereska en 1928 et qui constitue l'exemple parfait d'une création artistique portant un message social. La suite s'ouvre avec "Maschine" dans laquelle la ceinture de sécurité, qui venait d'être inventée, est le point de départ ainsi que la silhouette d'un contremaître, sur un podium surélevé, figurant un personnage tyrannique qui contrôle les ouvriers. Le mouvement d'ensemble des danseurs masqués de blanc supprime toute individualité; chaque ouvrier est réduit à un personnage de robot en tenue de travail vert, exécutant des mouvements inconfortables et douloureux pour le corps, sur des rythmes mécaniques et' répétitifs étranges. Il ne dispose d'aucun espace personnel. La musique est dure et bruyante. L'épisode suivant est "Krieg" (guerre) et est un commentaire sur l'absurdité de la guerre et les raisons futiles qui la déclenchent. La danse est basée sur des improvisations à partir de thèmes de l'accroissement de l'agressivité. Le son est d'abord celui de pas décidés, ensuite de pas courus, de chocs de corps, de respiration haletante, de cris de terreur, d'un hurlement triomphant. La "Procession des morts" qui suit, est constituée d'une série de tableaux vivants, dans lesquels les cadavres sont appuyés l'un sur l'autre, dans des attitudes qui suggèrent des mouvements interrompus. Le troisième épisode, "Romanz", est un duo romantique entre deux personnages asexués habillés de même, qui se découvrent petit à petit pour révéler un homme et une femme. Ils tentent d'éprouver la compassion, la tendresse, l'amour et l'extase. Ils sont observés par des personnages clownesques et hilarants, "Le Club des excentriques", qui se grattent, se mordent et se lèchent, se poussent et s'embrassent, qui toussent, crachent, rient, pour finalement hurler vers le public.

Regardons maintenant les oeuvres que Laban présenta au Premier Congrès de la Danse en 1927, et qui attira environ mille danseurs de tous styles et conceptions. Ces oeuvres sont de véritables exemples de l'étendue de ses vues chorégraphiques et de son énorme énergie.

 

Il présenta trois oeuvres qui remplissaient chacunes toute une soirée. De plus, il avait accepté la commande d'une oeuvre pour l'inauguration d'un nouveau Palais des Thermes à Bad Mergentheim, qui avait lieu deux jours avant le congrès. Varchitecture de Mergentheim, dont le château-fort était le centre, inspira Laban. Il s'y installa avec les danseurs professionnels du Kammertanzbühne ainsi qu'avec les étudiants de son institut chorégraphique. Les répétitions de "Ritterballett" (Ballet des chevaliers) eurent lieu dans les salles du château. Une suite musicale pour un ballet de chevaliers composée par Beethoven dans sa jeunesse, fut choisie comme accompagnement, parce qu'un festival Beethoven avait lieu en même temps à Mergentheim. Les eux autres gran s a e s - rent: "Titan", une oeuvre chorale inspirée par le voyage de Laban en Amérique l'année précédente et une oeuvre grotesque, d'esthétique dadaïste et caricaturale, "Nacht".

 

Il était nécessaire de créer ces trois oeuvres en même temps, à cause de leur distribution nombreuse, soixante danseurs en tout.

 

Laban travailla chaque pièce, par groupe, avec dans chaque groupe, des étudiants "avancés" issus de son institut chorégraphique. "Ritterballett" est une suite de danses évoquant des images médiévales. Elle réunit des chevaliers, des mauvais esprits, des pages, de nobles dames, des paysans et des religieuses, des chasseurs, ainsi que deux rôles particuliers: la sorcière et le grand-maître de l'Ordre des Chevaliers. 1!oeuvre n'est ni narrative, ni mimétique, mais présente des archétypes dans des situations conflictuelles structurées en épisodes. Il obtient son effet en mettant les dynamiques en contraste l'une avec l'autre. Cela commence dans un chaos sauvage (la danse des païens et de la sorcière) interrompu par la solennité (la procession des chevaliers) et par le mixage des deux qualités (la conversion au christianisme des païens). Le deuxième épisode est composé d'une danse grotesque (la danse des mauvais esprits, des pages et des paysans), d'un rondeau décoratif (dansé par les nobles et les pages), suivi d'un passage excité (la parade des chevaliers en route vers un tournoi). Ensuite, la rébellion des paysans contraste avec une procession de religieuses, qui est suivie d'un passage qui mélange les deux qualités (Passaut des rebelles et le sauvetage par les chevaliers). Ensuite nous assistons à l'action vigoureuse des chasseurs, à une scène d'amour ainsi qu'à une scène empreinte de vigueur grotesque et lugubre (des fantômes et le rêve des sorcières hurlantes et des cavaliers noirs). L4oeuvre est une pièce typique et décorative, alliant décorum et fantaisie débridée, avec beaucoup de costumes et de bannières, juxtaposés au décor blanc et noir des armoiries des murs du château de Mergentheim. Avec "Ritterballett", Laban s'appuie sur les pratiques traditionnelles de la danse. Il se situe dans la lignée de Noverre ou d'Angiofini, en travaillant dans la tradition tout en innovant. Cette attitude est en opposition totale avec celle de Mary Wigman, qui estimait que la danse du passé était terminée et que sa "danse absolue" est l'unique voie vers l'avenir en Allemagne. Même si Laban compose des danses sans musique, il aime travailler avec des partitions existantes, à condition que celles-ci soient écrites pour la danse. Contrairement à Isadora Duncan, il n'interprétera jamais la musique et ne prendra jamais de symphonies et de sonates comme point de départ. Il ne visualisera jamais la musique comme le fit Ruth Saint Denis, mais il créera des mouvements autour d'une structure rythmique, les rythmes des mouvements restant autonomes et dominants.

 

Laban décrit "Titan" dans "Une vie pour la Danse", comme "une pièce de théâtre dansée qui démontre que la force d'un espoir commun se situe dans la volonté commune de dépassement". Cette définition peut facilement être manipulée par des historiens, pour affirmer que les Nazis voyaient dans la danse expressionniste un moyen pour exprimer leur "volonté commune" et leur conception "d'espoir commun Il , six ans après le Congrès de Magdeburg. Précisons déjà clairement que la signification que Laban donnait au "commun" était fondamentalement opposée à la notion de régimentation. Dans "Une Vie pour la Danse", il dit , d'une façon fort directe, que "le but de la vie, comme je le comprends, est de prendre soin de l'être humain, contrairement au robot et d'éviter que l'humanité ne meure dans une confusion hideuse. Il se situe dans un avenir où la vie est célébrée dans une pensée, un sentiment et une action commune, pour que la lumière de chaque individu soit mise en évidence". Notons bien, celle de "chaque individu" et pas celle d'une nation ou d'un parti politique.

 

Comment Laban réalisa-t-il ces objectifs dans un choeur de mouvement? Tout d'abord, non par l'action 'commune, mais par des motivations communes, non pas par un mouvement d'ensemble robotisé et certainement pas d'inspiration militaire, mais par l'expression individuelle "à travers leur propre rayonnement". Deuxièmement, la réponse individuelle n'est pas idiosyncratique ou égotiste, mais cherche la "communion" avec les autres, sous-tendant un rapport harmonique (pas nécessairement harmonieux) entre les actions des différentes personnes. Cette communion ne peut être atteinte par une intoxication des sentiments communs à tous - ce qui a souvent été attribué à la danse expressionniste et qui fuit prôné avec enthousiasme par des National-Socialistes - mais par la proposition nietschéenne de valoriser autant l'expression tant appollienne que dionysiaque. Dans les œuvres pour chœurs de mouvement de Laban, où le sens de la responsabilité et du dialogue est présenté sous des formes artistiques dans une variété infinie d'actions, de tensions, de résolutions, de formes, de timings, de partage du poids de groupes, nous retrouvons véritablement ce que Durckheim appelait la solidarité organique, par opposition à la solidarité mécanique. "Titan" fut une œuvre pareille, créée pour les participants d'abord, comme une célébration commune. Les formes, les costumes et les sons de "Titan", sont la réponse dé Laban à l'Amérique : "l'Indien, l'Africain, le Caucasien, l'Asiatique", le féminin et le masculin. Les costumes rouges et jaunes évoquent l'Arizona, les sons simples des timbales, la mélodie des pipeaux, le silence, composés par Wagner-Regency, évoquent les grands espaces.

 

L'intermède pour solistes dans "Titan" est une insertion inhabituelle dans une œuvre chorale. Il fut dansé par deux femmes et cinq hommes, dont Laban lui-même. Nous n'avons aucune idée des raisons pour lesquelles il inséra cette partie. Fut-ce pour contraster "le rayonnement individuel" avec "l'objectif commun" exprimé dans la plus grande partie de l'œuvre ? Voulait-il mettre ses meilleurs danseurs en évidence pendant le congrès ? Voulait-il montrer qu'il était aussi bon danseur que conférencier et organisateur ? Nous n'en savons rien.

 

Avec "Titan", Laban se montre un innovateur d'envergure. Le style de l'œuvre est sa réponse à la perte des cultures traditionnelles des citadins, une perte particulièrement poignante et spécifique au début du 20e siècle. En perdant ce lien, les êtres humains se coupent de toute opportunité de participer à des danses signifiantes dans une communauté. Appartenant lui-même à une culture où tout le monde dansait à chaque occasion, il ne comprenait que trop bien l'influence désastreuse de la vie urbaine moderne et mécanisée sur le bien-être humain. Il mêle dans ses œuvres chorales le sens de la fête et les thèmes intellectuels et politiques, tout en réalisant des procédés nouveaux pour les groupes. Le renouveau d'un esprit de communauté par le biais de la représentation artistique, était une question cruciale.

 

"Nacht" fut la troisième pièce et met en scène l'homme moderne, "Titan" représentant l'espoir d'un futur meilleur et "Pitterballett", la célébration du passé. Le présent était particulièrement laid. Laban écrit que cette pièce fut "un échec total" qui lui valut des commentaires grossiers de la part de la presse et qui laissa le public déconcerté.

 

Le contraste entre la conception utopique de "Titan", présenté le vendredi 17 juin et le caractère dadaïste de "Nacht", présenté le lendemain, a dû demander autant d'adaptation de la part du créateur que de la part des interprètes et du public. Défini non comme une danse, mais comme "une matérialisation dynamique", la seule référence communiquée au public fut une citation de Goethe : "l'inconscient de l'homme ... déambule la nuit dans le labyrinthe de la bête". Ce côté iconoclaste de l'homme apparaît de temps en temps dans la production de Laban, que ce soit avec des dessins satiriques dans la lignée de ceux d'Otto Dix, ou avec le ridicule le plus cruel. Nous le voyons dans "Phantastische Revue" en 1924 et également dans "Nacht". Selon les danseuses, Gertrud Snel et Ilse Loesch, "Nacht" fut une pièce fantastique de propagande avant-garde, et elles l'adoraient.

 

Les personnages sont des hommes, des femmes et trois images. Le décor sonore est une composition originale de Erich Itor Kahn, faite de bruitage, avec des klaxons de motos. Une véritable motocyclette passe sur scène.~ Les images représentent l'Argent qui conduit à l'exploitation des pauvres, le Sexe comme exploitation de l'autre, et la Machine, synonyme de l'annihilation inévitable de l'âme. Laban détestait particulièrement les agents de change, les cocaïnomanes, la pornographie, les préjudices petit-bourgeois, le chauvinisme masculin, l'inconstance féminine, l'hypocrisie religieuse, le snobisme social. Il exprima ces opinions dans la danse avec comme vocabulaire, des gestes d'une laideur bizarre, d'une esthétique choquante. Il dit plus tard qu'il y avait mis peut-être "trop de haine", tout en sachant que le public n'était pas prêt à l'apprécier. Il réalisa dans la danse ce que George Grosz fit dans le dessin et Bertold Brecht dans le théâtre. Il a transgressé les limites de la mode et de l'acceptable dans la danse. Il provoque le censeur, brave les cris des bourgeois et apprécie les applaudissements du spectateur fervent de vérité. Il écrit dans une lettre en 1957 que "c'était probablement sa meilleure œuvre".

 

Nous ne pouvons quitter la scène de 1927 sans parler de certaines de ses activités réalisées en parallèle avec ces trois grandes créations. Il voyagea entre ses quinze écoles, de Prague à Vienne et de Hambourg à Budapest, pour y enseigner et faire passer les examens. Le Congrès était suivi par des cours d'été qui s'étalaient sur deux mois, auxquels plusieurs centaines de collaborateurs et ses danseurs participaient. Durant cette période, ses collaborateurs les plus proches terminèrent la mise au point du système de notation : Kurt Jooss, Sigurd Leeder, Albrecht Knust, Dussia Bereska, Fritz Klingenbeck formaient le noyau de l'équipe. Pendant les séances de travail, ils essayèrent de trouver des compromis entre l'idéal d'une notation et les nécessités pragmatiques de la lecture et de l'écriture. Une explosion de joie éclata lorsque les problèmes furent résolus. Ces séances de travail furent interrompues pour présenter à Leipzig, non seulement "Ritterballett", mais également "Don juan", une autre pièce de toute une soirée qui était au répertoire. En même temps, de nouvelles danses furent crées pour la prochaine saison de la compagnie itinérante régulière, dont "Grünen Clowns". Pendant cet été, l'Institut chorégraphique déménagea de Würzburg à Berlin dans des locaux plus vastes. Le matériel publicitaire pour la saison des représentations, des cours, des conférences et de l'édition d'ouvrages de 1927/28 fut préparé. Laban fonctionna à un niveau d'intensité tel qu'il s'épuisa et finit à l'hôpital. L'année suivante, il publiera le système de notation et lancera, avec Alfred Schlee le premier journal de recherche en danse : "Schrifttanz". Quelque temps après, il deviendra le chorégraphe attitré de deux théâtres allemands d'envergure : l'Opéra d'Etat de Berlin Unter den Linden et le Théâtre du Festival Wagner à Bayreuth. Pas étonnant qu'on le surnomma Le Volcan.

Traduction : Lydie Willem