Merce Cunningham (revu en 2005)

Né en 1919 dans une petite ville de l'Ouest étasunien

Impact colossal sur l'histoire de la danse pendant tout le siècle : il fait figure de mythe.

On répète à l'envi pour synthétiser sa carrière, l'histoire des 4 « C » : Cage, Camera, Chance, Computer…

Attention : « chance » n'est pas le hasard ! mais le « hasard heureux » « la veine »!

(voir les fulgurances rimbaldiennes et les cadavres exquis surréalistes)

I Formation

Tout jeune Mrs Barrets

- l'initie aux claquettes, aux danses de salon, aux danses de caractère

- lui fait découvrir le plaisir de la scène.

Après le Lycée : études des Arts et Techniques du spectacle, à la Cornish School de Seatle, qui dispense une formation mixte en théâtre et en danse.

- Stagiaire en 39 : il rencontre Hanya Holm, Doris Humprhrey, Charles Weidman, José Limon, puis Martha Graham

2 Départ pour New York

Il danse dans la compagnie Graham (de 39 à 45)

(deuxième danseur masculin après Erick Hawkins)

- suit pendant un an de cours de danse classique

- suit des cours de composition inspirés par la méthode de Louis Horst

Sa danse exprime à cette époque des émotions, raconte une histoire, suit une progression dramatique.

En 42 : Première marque d'autonomie :

Cage, rencontré en 38, l'incite à plonger dans la modernité.

Cage est musicien fasciné par Satie, par les philosophies zen, par l'esprit dada, l'œuvre de James Joyce (il a 7 ans de plus que Mercier).

- ils rencontrent d'ailleurs Marcel Duchamp cette année-là et parlent d'objectivité de l'Art.

Avec Cage pour musicien et deux autres danseurs, il présente une série de solis et de duos : La danse comporte des moments d'improvisation sur une structure musicale où se répondent des boîtes de conserve, des percussions, une sonnerie électrique et une radio.

En 44 : Rupture avec la Compagnie Graham. Début des Oeuvres en collaboration totale avec Cage (Cunningham fait de cette date le début de sa carrière)

- dissociation de la danse et de la musique : œuvres "travaillées ensemble, c'est-à-dire séparément", : Danse et Musique sont mises en relation possible au moment du « spectacle ».

Il exprime quelques idées sur sa danse :

- il lui refuse l'épithète d'"abstraite" : " la danse traduisant la nature humaine, elle n'est aucunement un art abstrait".

- il lui refuse la narration : . "Ce qui différencie la dans moderne du ballet, c'est que la danse ne devrait pas avoir un sens littéraire car elle n'en a pas besoin".

3 Les tournées étasuniennes

Véritables exploits sans moyens matériels et financiers.

- Accueil au BMC

4 Séjour en France

En 49 Cunningham suit Cage invité pour un concert en Europe :

Il découvre la dans française qui « se cantonne dans les limites du divertissement. » (ballets Petit, Ballet de l'opéra)

Il découvre Artaud en donnant des cours chez Barrault et Blin (rencontre avec Marianne Preger)

5 Découverte d'un nouveau style

La danse de Cunningham (à partir des années 1950 ) est en rupture avec la « modern danse ».

a / 1951 Utilisation de l'aléatoire comme processus de composition objectif:

Influence de Joyce, du zen , du Yi king

Pour Merce l'aléatoire n'est pas un jeu gratuit : Ce n'est pas non plus une contrainte ; c'est un procédé de création.

L'aléatoire laisse s'exprimer les pulsions inconscientes qui travaillent dans les profondeurs inconnues du créateur.

De plus, il se justifie par :

- le refus de signifier et de communiquer du sens

- le refus d'exprimer un vécu intime et subjectif, lyrique, de « parler de soi »

- le refus de se soumettre aux usages de construction d'un genre

- le refus de reconnaître la souveraineté absolue d'un Sujet-Créateur

- le refus d'un « produit fini »

- le refus d'une finalité (anticipation d'un but, d'un résultat) ( principe de l'indétermination)

La « veine » lui permet :

- de régler l'ordre des structures rythmiques pour éliminer la subjectivité du choix

- de " voir venir à soi des idées à quoi l'on n'avait pas songé."

La « veine objective » devient la méthode privilégiée de composition artistique. ( cf : Surréalisme : Breton, Manifeste du Surréalisme et des œuvres comme Nadja)

" Music of Change" est construit selon l'aléatoire.

Dans "Torse", en 1976, il laisse au hasard des 64 hexagrammes du Yi King le soin d'ordonner les cinq positions de la colonne vertébrale (curve, upright, arch, twist, tilt) qu'il a définies.

 

b/ 1951 : Application des théories d'Einstein

Autre conception de l'espace et du temps :

Déjà Apia et Dalcroze avaient bouleversé le rapport scénique en sortant de la danse de l'espace scénique frontal et cadré des théâtres à l'Italienne.

Avec Cunningham , on parle de danse multidirectionnelle :

- chaque danseur est le centre de l'espace.

- chaque danseur a le devoir de créer le centre de l'espace qui se découpe pour lui selon 4 critères formels de base : devant, derrière, en haut, en bas.

Ainsi disparaissent les notions de hiérarchie entre les danseurs, de hiérarchie entre les points de l'espace, ce qui aboutit à une démocratisation du regard.

c/ 1952 Premier happening : Occupe toi de Brunhilde (à Black Mountain, le public installé au centre de l'espace scénique et auquel on sert du café, découvre les diapositives, les décors, les costumes de Robert Rauschenberg entendent le piano de Tudor, la voix de Cage, un récital de poèmes, des aboiements, des pleurs de nourrissons et des enregistrements d'Edith Piaf tandis que Merce danse avec d'autres danseurs qui n'ont jamais répété.

d/ Fondation de la Compagnie en 1953

De nouveaux commentaires :

- "il n'y a pas besoin de la convoquer les émotions pour exprimer quelque chose enfoui dans l'inconscient. Si ces images existent au plus profond du danseur, elles apparaîtront… il suffit d'en permettre la venue."

Il s'agit donc d'autoriser l'émotion et non de la forcer.

- La danse naît du "non-faire" dans les mouvements.

- Elle s'apprend par imitation : "pendant longtemps la classe quotidienne consiste à imiter ce qui est donné par le professeur. C'est en s'associant aux autres arts qu'elle devient "spectacle".

La compagnie forme des danseurs capables de reprendre les rôles.

1954 : Début de la collaboration avec Robert Rauschenberg et Action Painting". ("Minutiae" )

Tournée étasiniènne en 55

dès 1959, Cunningham fonde à New York une école où il enseigne sa technique, et où il peut renouveler sa compagnie avec de nouveaux éléments habitués à son travail.

En 1960, nouveau studio où siègent le" Living Theater" et l'atelier de composition animé par Robert Dunn

La musique électronique enregistrée sur bande remplace de plus en plus le piano de Cage ou Tudor.

L'utilisation de l'aléatoire est de plus en plus importante donc les danseurs improvisent souvent.

1964 est l'année de la première tournée mondiale. La fin de la tournée mondiale est marquée par la démission de Rauschenberg.

La compagnie tisse des liens avec le monde de la danse en France. Les danseurs français vont se former outre-manche.

e/ Exploration du son

L'exploration du rapport entre la musique et la danse (entrepris dès la rencontre avec Cage (en 38) puis avec Tudor et Wolf (en 51) est relancé par la génération du pop art et les « undergrounds ».(années 60)

- dans « Variations V » un système d'interaction entre le mouvement des danseurs et la musique, en utilisant des rayons sonores et des cellules photoélectriques. Par un système sophistiqué de capteurs : le mouvement des danseurs déclenchent les sons.

f/ 1967, c'est l'année du premier « event » lors d'un gala.

De 1967 à 80, Jasper Johns est conseiller artistique

1969 la musique acoustique qui accompagne le "Gym Event N° 5" est improvisée par David Tudor et par une personnalité forte du "Sonic Art Union" : Gordon Mumma.

En 1970, « Tread » s'accompagne d'une partition d'un autre membre de l'Union : Christian Wolff et "Object" d'une partition d'Alvin Lucier

En 1973 il est engagé par l'Opéra de Paris pour monter une chorégraphie avec le ballet de l'Opéra.

g/ Exploration de la danse et du cinéma et de la vidéo

Pièces conçues pour la télévision

A partir de 1979 Cunningham collaboration avec Charles Atlas et Eliot Caplan.

Jasper Johns est remplacé par Mark Lancaster et quatre ans plus tard par William Anastasi. et Dove Bradshaw.

La France accueille presque annuellement la Compagnie qui laisse le souvenir de son passage dans presque toutes les villes de France.

h/ L'exploration de l'ordinateur

Au début des années 90, « Life forms ».

Ce logiciel, conçu d'après la cinétographie de Laban,

En 1991"Trackers" : première chorégraphie dans laquelle l'ordinateur sert d'outil de création.

Le monde des puces, des capteurs, des CD stimule aussi sa créativité et génère d'autres effets aléatoires.

En 1998 la Compagnie est invitée deux semaines à l'Opéra de Paris, à cette occasion la création de "Pond Way." Musique de Brian Eno et décor d'après une peinture de Roy Lichtenstein.

II) Caractéristiques de sa danse

Sa danse résulte de l'intégration de nombreux concepts artistiques et d'une aventure expérimentale à travers les technologies nouvelles et les Arts.

- une nouveau concept esthétique

- l'objectivité ( aucun lyrisme, aucune interprétation psychologique, , aucune construction chronologique, aucune narration).

- Utilisation de l'aléatoire, de « la veine », du principe « d'indeterminancy ».

- la neutralité du visage (blank face)

- la précision des directions (héritage Laban)

- la « géométrie » (la pureté des lignes) : (héritage du Bauhaus via le BMC)

- la dissociation des articulations (dissociation torse / jambes)

- l'importance de l'intention

- le flux d'énergie jusqu'aux extrémités (l'engagement corporel)

- la tonicité

- la virtuosité

- le formalisme

- le all over et la danse multidirectionnelle

- la déhiérarchisation de l'espace : aucun endroit privilégié ; (le lieu occupé par chaque danseur est perçu comme le centre de l'espace chaque danseur est responsable d'un point de l'espace conçu comme un centre. ( donc pas de place privilégiée pour le spectateur, pas de frontalité, pas de symétrie)

- la disparition de l'ego du créateur

- une danse concrète. : ( même s'il hérite des principes d'abstraction constructiviste du Bauhaus, par l'influence de Rauschenberg, élève d'Albers au BMC)

- la joie et plaisir de danser dans une forme de dépassement de soi

- la désunion de la danse et de la musique afin d'en faire 2 arts à part entière qui se rencontrent

- une base académique (positions des pieds, figures, « upright » …) Mais cette base académique est dévoyée.

- Les bras ne sont plus un moyen d'expression des affects ; ils ont une fonction mécanique, celle de stabilisateur, ou d'initiateur du mouvement, celle d'indicateur de directions spatiales. - corps articulé simultanément sur différents plans, virtuose et vif, capable d'exécuter des enchaînements complexes soutenus

- une autre notion de " spectacle" : la " monstration " immédiate et éphémère , inscrite dans l'instant, réalisable en tous lieux, évolutive.

III) Conclusion

Cunningham s'inscrit, depuis 1950, ni dans le contexte de la danse moderne ni dans le contexte de la danse postmoderne.

Il ne veut pas créer "d'école" prétendant qu'aucun exercice ne peut être défini et fortement sceptique vis à vis de la notion de " style".

Sa danse est celle de l'aventure virtuose.

"Dans le cours de ma vie de danseur, quatre découvertes ont eu une grande influence sur mon travail.

La première, quand je commençais à travailler avec John Cage. Nous avons séparé la musique et la danse. C'était la fin des années quarante. En utilisant à l'époque ce que John Cage appelait une structure rythmique - des durées déterminées d'un commun accord, entre des points de débuts et de fins communes à la danse et à la musique - nous avons travaillé séparément, moi sur la chorégraphie et John Cage sur la composition musicale. Cela permettait à la musique comme à la danse une indépendance entre les repères. Cette façon de travailler m'a tout de suite donné un sentiment de liberté. Je ne dépendais plus d'une structure note à note. J'avais une sensation très nette à la fois de clarté et d'interdépendance entre la danse et la musique.

La seconde découverte fut l'utilisation des opérations aléatoires dans la chorégraphie. Celle-ci est explicitement liée à la chorégraphie. J'ai travaillé avec divers procédés, mais en principe, cela consiste à élaborer un grand nombre de phrases chorégraphiques, séparément, et de se servir du hasard pour en déterminer la continuité. Cela m'a mené et continue de me mener à la découverte de nouvelles façons de passer d'un mouvement à l'autre, présentant constamment des situations où l'imagination est mise à l'épreuve. Je continue d'utiliser des opérations aléatoires en trouvant à chaque fois de nouvelles applications.

La troisième découverte a eu lieu dans les années soixante-dix. C'était le début de mon travail avec le film et la vidéo. L'espace de la caméra me présentait un défi. Il impose ses limites, mais il donne aussi des possibilités de travailler la danse comme on ne peut pas le faire sur scène. La caméra a un point de vue fixe, mais peut être déplacée. On peut aussi passer d'une caméra à une autre qui peut modifier la taille d'un danseur, ce qui, à mes yeux, a aussi un effet sur le temps et sur le rythme du mouvement. La caméra peut aussi saisir les détails d'un mouvement, que la scène ne permet pas de voir.

La quatrième découverte est la plus récente. Depuis cinq ans, j'utilise un logiciel pour mes chorégraphies : Life Form, élaboré en commun par le département de la danse et le département de la science de la Simon Fraser University en Colombie britannique. On peut l'utiliser comme instrument de mémoire. Mais mon centre d'intérêt principal reste la recherche. Avec la figurine, appelée Sequence Editor, je peux inventer des mouvements, les stocker dans la mémoire et, en fin de compte, obtenir une phrase de mouvements. Sur l'écran, le temps peut-être modifié pour voir un ralenti. Bien sûr, on peut obtenir des formes et des mouvements impossibles à exécuter pour le corps humain, mais, comme c'est arrivé d'abord avec la structure rythmique, puis avec l'utilisation du hasard, suivie par celle du film et de la vidéo, maintenant, avec l'ordinateur, je découvre encore une fois de nouvelles possibilités avec lesquelles je peux travailler.

Mon travail a toujours été un processus. La fin d'une composition me laisse toujours une idée, même mince, pour la suivante. D'une certaine façon, je ne considère pas une chorégraphie comme un objet, mais plutôt comme une courte étape sur la route. Merce Cunningham, 1994