ATELIER SUR GISELLE, ANIME PAR JEAN GUIxxxx INJEP - 22 janvier 2002

Formation Danse au Bac L3

Présentation de l'œuvre

Les phrases en italique sont extraites du livret " Giselle ou les wilis " écrit par Théophile Gautier et paru en 1844 dans la collection " Les Beautés de l'Opéra ".

" Elle aimait trop le bal, c'est ce qui l'a tuée " - Victor Hugo - " Les Orientales " - 1821

N'est-ce pas précisément l'histoire du ballet " Giselle " créé le 28 juin 1841 ?

La spécificité de ce ballet est d'être un hymne au plaisir de danser. Le sujet central est bien la danse elle-même et la relation de la danse avec l'amour.

" Giselle a un défaut, du moins c'est sa mère qui le dit : elle est folle de danse, elle ne songe qu'à cela, elle ne rêve que bals sous la feuillée, valses interminables et valseurs qui ne se fatiguent jamais. Albrecht,(…) est à coup sûr le galant qu'il lui faut ; il ne dit jamais : " - il fait trop chaud ! Reposons-nous ! ". Il est toujours prêt à danser ; aussi l'aime-t-elle de toute la force de son cher cœur. Quelle jeune allemande ne serait pas éprise d'un gaillard bien découplé, qui ne manque jamais la mesure, à qui la tête ne tourne pas, et qui a les mains aussi blanches que s'il n'avait rien fait de sa vie ? " (…)

Les remontrances maternelles se poursuivent :

" Maudite enfant, tu te feras mourir, et quand tu seras morte, tu deviendras une wili. Tu iras au bal de minuit avec une robe clair de lune et des bracelets de perles de rosée à tes bras blancs et froids ; tu entraîneras les voyageurs dans la ronde fatale, et tu les précipiteras dans l'eau glaciale du lac tout haletants et tout ruisselants de sueur. Tu seras un vampire de la danse ! ".

 

Loys, (nom d'emprunt du Prince Albrecht lorsqu'il vient se divertir en dansant parmi les paysans), pour qui la danse est si présente, séduit Giselle par son enthousiasme.

Cette jeune paysanne est également courtisée par Hilarion " un de ces garde-chasses mystérieux et farouches, comme on en voit dans les ballades germaniques, (qui) a pour Giselle un de ces amours qui ressemblent fort à de la haine, et qu'éprouvent les mauvaises natures, incapables d'être aimées ; cette haine, c'est de l'amour aigri ".

On peut penser néanmoins qu'à la fin du premier acte c'est plus par jalousie et amertume que par méchanceté, qu'Hilarion révèle à Giselle la réelle identité d'Albrecht, en lui montrant l'épée que " le jeune burgrave de haute et noble lignée " avait soigneusement dissimulée. C'est cet aveu qui mènera Giselle à la mort et pourtant on peut se plaire à interpréter Hilarion comme un être sincère et protecteur.

Hilarion sera victime " des wilis, ces ogresses de la valse ", qui après l'avoir entraîné dans une danse effrénée le précipiteront dans les eaux du lac.

Albrecht survivra, soutenu par l'amour que Giselle lui porte au-delà de la mort. Elle l'aidera à danser jusqu'au moment où, avec l'aube, le pouvoir des wilis disparaît.

Le second acte commence par l'entrée de Myrtha, la reine des wilis :

" Regardez ! Le gazon tressaille, le cœur d'une belle de nuit s'entrouvre ; il en jaillit une blanche vapeur qui se condense bientôt en une belle jeune fille pâle et froide comme un clair de lune sur la neige : c'est la reine des wilis. Du bout du sceptre, elle trace dans l'air des cercles cabalistiques, elle évoque ses sujettes des quatre coins du vent ; ses sujettes, car elle n'a pas de sujets. Les hommes sont trop lourds, trop grossiers, trop stupides, trop amoureux de leur vilaine peau pour mourir d'une si jolie mort ".

 

A l'aube, " les wilis, effrayées, se dispersent et rentrent dans leurs cachettes, dans le cœur des nénuphars, dans les fentes des rochers, dans le creux des arbres. Albrecht est sauvé (…) Une rose qu'il cueille sur la tombe, une rose où l'âme de Giselle a laissé son chaste parfum, voilà désormais tout ce qui reste au comte Albrecht de la pauvre villageoise ".

Notons que le titre du ballet est un prénom, ce qui l'identifie à l'intime et que Gautier préfère l'écrire avec deux " L " ( les ailes des wilis !).

Giselle est l'œuvre d'une rencontre entre des êtres passionnés :

- Théophile Gautier (1811-1872), qui signe l'argument avec Henri Vernoy de Saint Georges (1800-1875).

- Jules Perrot (1810-1892), danseur de renom et vraisemblable chorégraphe des variations du rôle titre. On peut signaler que son nom fut " oublié " sur les affiches, lors de la création du ballet. Il fut le professeur et le compagnon de Carlotta Grisi.

- Adolphe Adam (1803-1856), l'un des seuls musiciens de son époque n'ayant pas considéré la danse comme un art mineur. " Rien ne me plaît davantage que cette besogne qui consiste, pour trouver l'inspiration (…) à regarder les pieds des danseuses " disait-il.

- Carlotta Grisi (1819-1899), danseuse ayant marqué les esprits par son charisme et ses prouesses techniques dont Théophile Gautier restera toujours épris.

Citons aussi Jean Coralli (1779-1854), chorégraphe attitré de l'Opéra de Paris qui signe les pas du corps de ballet, Lucien Petipa (1815-1898), qui dansait le rôle d'Albrecht à la création, et Pierre Cicéri (1782-1868) qui a conçu les décors.

Initialement, le ballet est annoncé comme un ballet - pantomime, pour devenir plus tard un ballet fantastique.

Dans Giselle, la construction repose sur la notion fondamentale " des oppositions " : les mondes sociaux, les espaces chorégraphiques, le style même des danses, les couleurs…

 

Le premier acte nous propose un retour aux sources populaires, à l'automne au moment des vendanges. Les tons chauds dominent. Les fruits et les labours sont présents. Les danses sont paysannes, ancrées dans le sol. Le décor du premier acte est intime, clos autour de la chaumière située dans une clairière. Les danseurs ont des gestes proches d'une réalité charnelle : leurs regards suivent leurs mains pour bien marquer l'incarnation. Exemple type du geste d'effeuiller une marguerite.

Le deuxième acte nous entraîne dans le monde de la rêverie. Les couleurs froides dominent. Il n'est question que d'êtres vaporeux et légers dont les arabesques et les élans illustrent bien l'envol et l'immatérialité. Les wilis parcourent l'espace et l'imaginaire du poète, élevées sur leurs pointes, symbole de la spiritualité. De la clairière, nous sommes passés à une forêt inquiétante, peuplée d'êtres voluptueusement maléfiques. Les directions des gestes sont dissociées des regards pour donner un sens plus évanescent à la danse. Exemple d'une arabesque dans laquelle le regard ne suit pas la ligne du bras de devant.

 

 

Atelier

 

Quelques principes de la danse classique en relation avec ce ballet romantique :

En rapport avec un volume formé par la position des bras, (devant soi, sur le côté ou dans l'axe vertical ), le poids de la tête se place à l'intérieur ou à l'extérieur, induisant la façon de porter son regard. On parle d'une façon de regarder le sol avec son front et le ciel avec son menton.

La nuque se doit d'être à la fois ouverte et mobile.

Les épaules sont dites " baromètre de l'émotion ". Elles se resserrent lorsque l'héroïne devient vulnérable ; dans la scène de la folie, à la fin du premier acte, elles expriment la douleur et l'abandon.

Les mains sont souples, en seconde les bras forment une ligne qui laisserait délicatement glisser une goutte d'eau (ici identifiable à une perle de rosée ou une larme).

En première position les doigts sont à la hauteur du cœur. En regardant droit devant soi, les bras mis en couronne doivent rester dans le champ visuel. De même pour la seconde position.

Les coudes ne sont pas serrés au corps, les omoplates (les ailes) sont libres afin de donner l'image de l'envol.

Le buste est mobile ; sans mobilité il n'y a pas de danse, par contre il n'y a pas de " curve " en danse classique. L'énergie doit pouvoir circuler dans la colonne vertébrale, entre le ciel et la terre.

Les pointes de pieds sont tournées vers l'en-dehors ( à l'origine dans la danse baroque, le maximum d'ouverture était de 90°). On positionne ses pieds selon un en dehors naturel qui ne met pas en danger notre équilibre d'où l'inutilité de la barre. En danse classique, les pointes de pieds ne sont jamais relâchées.

En danse classique on passe du plié au tendu souplement mais sans rester dans l'entre-deux.

Au premier acte, on parle plutôt des gestes de la supination (geste de ramener vers soi, c'est l'auriculaire qui guide le mouvement, les deux os de l'avant-bras sont parallèles).

Au second acte, on parle de pronation (geste d'aller vers l'autre, c'est le pouce qui guide le mouvement, les os de l'avant-bras sont croisés).

Au vocabulaire classique dont nous pouvons extraire des pas comme les glissades qui guident la rencontre de Giselle et du Prince ou comme les pas de valse à la seconde qui animent le manège des vendangeurs ou des pas plus techniques comme les arabesques qui symbolisent un " aller vers ", les grands jetés ou les différentes formes de pirouettes, s'ajoute la pantomime très importante dans le premier acte du ballet.

La pantomime offre au spectateur une lisibilité de l'action en même temps qu'elle permet à l'élève non spécialiste d'aborder une gestuelle du ballet qui n'est pas celle de l'abstraction des pas mis en jeu lors du second acte.

Exemple d'une phrase mimée du premier acte : " Moi, là-bas, j'ai entendu frapper, mais il n'y a personne ".

moi : relation au coeur, main au sternum

là-bas : index pointé

j'ai entendu : une main forme un pavillon autour de l'oreille

frapper : une main frappe sur le poing de l'autre main

mais il n'y a personne : les deux bras s'ouvrent en signe d'impuissance paumes vers le haut (supination).

Quelques propositions de travail :

Prenons quelques gestes que nous allons mémoriser pour les reproduire selon différents ordres :

1) le I : (i majuscule) celui de Giselle, symbole de la verticalité, corps droit, mains croisées sur la poitrine

2) la position du rêveur : (celle d'Albrecht lorsqu'il se recueille sur la tombe de Giselle) : un genou au sol, les bras appuyés sur l'autre genoux plié, une main sur le front (genou gauche au sol, genou droit plié, pied doit devant le genou gauche, bras gauche posé sur le genou droit, coude droit posé sur le genou droit devant le bras gauche, front appuyé sur le poignet droit)

3) la larme : les deux mains parallèles effleurant par le bout de doigts les pommettes, un peu sous l'œil, les coudes sont vers le bas

4) la chute : à la fin de la variation d'Albrecht quand épuisé il demande grâce ( au sol, sur le côté, un bras maintenant l'équilibre au sol, l'autre levé vers le ciel suppliant)

5) l'arabesque pliée : le corps repose sur une jambe pliée tandis que l'autre est horizontale dans l'alignement du buste, le corps est presque parallèle au sol et le bras opposé à la jambe d'appui est étiré dans l'axe de la tête (il ne s'agit pas d'une arabesque d'envol mais plutôt d'un geste témoin d'une douleur).

Cet exemple de 5 positions ainsi inventées, le professeur peut les varier à l'infini selon des documents iconographiques comme on peut en voir dans le recueil " L'Avant-Scène du Ballet " consacré à Giselle et publié en 1981.

En leur donnant à chacune un numéro de 1 à 5, chacun est libre de proposer un ordre différent composant ainsi une phrase. Le rythme et l'espace peuvent varier selon l'inspiration de chacun. Les positions choisies peuvent être proposées dans des rotations, des sauts, des chutes ou leur réalisation au sol (on peut jouer à dissocier les bras d'une position avec la position des jambes d'une autre). On peut aussi les conjuguer avec un ou plusieurs partenaires. Le dialogue avec l'autre s'improvise et peut même se fixer dans la mémoire de chacun. On doit pouvoir être capable de reproduire sa danse.

Ce petit vocabulaire permet d'improviser à partir de gestes authentiques issus du ballet.

On peut également travailler sur les figures géométriques que ce ballet propose, les rondes, les croix qui tournent, les tiroirs (lignes parallèles allant pour les unes vers la droite, tandis que celles de derrière vont vers la gauche et retour), les croisements de deux lignes qui avancent, les deux cercles qui n'en forment plus qu'un, les grandes diagonales dans lesquelles un mouvement est repris en chaîne par les autres de façon successive.

La musique

 

Les professeurs de musique présents lors de la formation, attirent notre attention sur l'existence du Traité d'instrumentation et d'orchestration de Berlioz (1840), définissant une relation entre le son qu'émet chaque instrument et l'ambiance que veut développer le morceau musical.

" Le trémolo simple ou double des violons en masse (…) exprime le trouble, l'agitation, la terreur.

Rien n'est plus voluptueusement mélancolique et plus propre à bien rendre les thèmes tendres et langoureux qu'une masse de violoncelles jouant à l'unisson sur la chanterelle.

Les cordes de la dernière octave supérieure de la harpe ont un son délicat, cristallin (…) qui les rend propres à l'expression des idées gracieuses, féeriques ".

A titre d'exemple, notons que c'est la harpe qui ponctue l'arrivée de Myrtha, la Reine des Wilis qui " du bout de son sceptre, trace dans l'air des cercles cabalistiques " ou " étend vers le tombeau sa baguette magique ".