Pina Bausch
(vie, influence, oeuvres)

 

 La danse d'expression est née en Allemagne dans la période qui entoure la première guerre mondiale.

Elle entend contrer les affres de l'industrialisation et redonner à l'homme une santé physique et mentale originelle.

Elle se lie avec une forte tendance pour un retour à la Nature et au Naturel.

Elle se lie avec le courant d'art expressionniste qui prolonge le courant romantique et se traduit par des formes violentes, agressives voire hystériques, reflets de la sensibilité pessimiste nietzschéenne.

Elle se lie à la psychanalyse conçue par Freud (1856-1939) comme une thérapie pour guérir de soi et du malaise d'exister.

Elle se lie avec les courants libertaires (anarchistes, fouriéristes, naturistes).

Elle se lie avec le dadaïsme né à Zürich en 1915 qui séduit les milieux anarchistes berlinois dès 1918, parce qu'il est la manifestation de la haine destructrice contre les valeurs d'une société bourgeoise cartésienne qui n'ont mené qu'à l'absurdité de la guerre et au malheur.

Elle se lie avec les mouvements d'avant-garde : le futurisme et le cubisme.

Elle se lie aux préoccupations esthétiques constructivistes de l'École du Bauhaus où par la fusion de tous les Arts on veut construire un nouveau monde dans lequel l'esthétique ferait partie de la vie quotidienne et améliorerait le sort du peuple,

Le Monte Verita est le lieu de rencontre de ces artistes et penseurs.

Ce centre des arts et lieu de réflexion depuis le début du XIX e siècle, connaît au début du XXe siècle une effervescence particulière consécutive à la recherche de l'Homme Nouveau.

Le centre accueille, outre les anarchistes, les fouriéristes, des édénistes proches des thèses de Jean-Jacques Rousseau et des thèses naturistes de Lord Monboddo, le théologien Steiner, les artistes Dada comme Arp, les artistes du Bauhaus : Klee, Breuer, Gropius, Moholy-Nagy, les danseurs : Laban, Wigman, Duncan, Alexander Sacharoff, des psychiatres : Otto Gross, Carl Gustav Jung, et des écrivains.

Tous ces libertaires sont à la recherche d'un nouvel art de vivre, plus proche de la nature et des rythmes primitifs, moins aliéné aux tabous sociaux, au matérialisme.

 

Pina Bausch est un mythe de la danse contemporaine dans une forme tout à fait particulière : celle du théâtre de danse. (tanztheater)

Née en 1940, elle s'inscrit dans la lignée de la danse d'expression et en assure la survivance sans « intellectualiser » ni revendiquer ces sources mais plutôt par similitude d'une commune conscience douloureuse de la vie.

Elle reçoit un lourd héritage

- les outils anciens :

1) Ceux de Delsarte, (transmis par Laban) entre autres, l'opposition entre la contraction et relâchement et l'opposition entre mouvement concentrique et mouvement excentrique

2) ceux d'Émile Jaques-Dalcroze : (la « rythmique » pédagogie de la musique par le geste), l'improvisation et l'opposition de dynamiques (les accents) générant une idée de masculinité ou de féminité. ( Jaques-Dalcroze donne à Berlin un « cours de danse libre »)

3) ceux de Laban :

Elle reprend la notion de Tanztheater (théâtre de danses) formulée par Laban en 1927 : l'idée est de« créer une dramaturgie pour la danse, ce qui revient à créer un théâtre à partir des outils de la danse. L'artiste-interprète crée une scène universellement lisible .

Elle reprend aussi l'idée de « trafiquer »

Elle reprend les notions :

- la koreutique qui place le danseur au centre d'un espace découpé en douze directions à l'aide de l'icosaèdre qui matérialise la kinésphère.

.

- la cinétographie qui note tous les mouvements du corps humain.

 

 

 

- l'eukinétique qui analyse le mouvement selon quatre critères : espace, flux, poids et Temps

 

I. LES DIRECTIONS :

HAUT/ BAS : SE LEVER, DESCENDRE

GAUCHE/ DROITE : SE FERMER ET S'OUVRIR

ARRIERE / AVANT : RECULER ET S'AVANCER

 

II. LES TROIS PLANS DIMENSIONNELS

1 LE PLAN SAGITAL (ROUE) HAUT/BAS ARRIÈRE/AVANT

2 LE PLAN FRONTAL (PORTE) GAUCHE/DROITE HAUT/BAS

3 LE PLAN HORIZONTAL (TABLE) ARRIÈRE/AVANT GAUCHE/DROITE

 

IlI. L'EUKINETIQUE

Laban catégorise en huit formes tous les mouvements (impulsions ou actions) d'après 3 paramètres :

Espace : mouvement centrés ou mouvement périphérique

Les mouvements centrés engagent le tronc (des épaules aux hanches)

Les mouvements périphériques engagent les mains, les pieds, la tête.

Temps/Célérité (rapide ou lent) (soudain /lent)

Flux (tonus) (tendu ou faible)(le flux est la capacité à laisser s'écouler le mouvement)

Tout mouvement naturel, impulsif, non contrôlé, part du diaphragme (donc est centré) affecte le cerveau et s'étend aux extrémités du corps (la tête et les membres).

Le mouvement cultivé, intentionnel est périphérique. Il est beaucoup plus efficace, parce qu'il est contrôlé mais beaucoup plus complexe.

central
périphérique
Gleiten /Glisser

Lent et faible

Schweben/ flotter / to float

Lent et faible

Schlottern/ frissonner/ to shiver

Rapide et faible

Flattern/ voleter

Rapide et faible

Stossen /frapper

Rapide et fort

Schlagen/ gifler

Rapide et fort

Drucken / Compresser

Lent et fort

Ziehen/ tirer / to pull

Lent et fort

Dominique Brun traduit : schlagen par fouetter, flattern par épousseter, schlottern par tapoter, drucken par tordre et intègre le paramètre ¬´  Poids ¬ (leger/lourd)

( toute personne susceptible de traduire dans sa langue ces notions de mouvement servira la passation de la danse)

 

3) ceux de Jooss

Transmission directe ici car elle a été son élève

- Importance donnée aux costumes et au décor pour retrouver la notion de personnages et d'agôn par des éléments propres à la danse : les rencontres de trajectoires, les chutes, les relations entre l'individu et la communauté.

- notion de focus et de relation directe par le regard avec le public

4) Ceux de la Juilliard School lors de son séjour aux Etats-Unis entre 1959 et 1962 (professeur Limon et Louis Horst) Théâtralisation, Rythme, Equilibre, Elan, Abandon et Chutes, Rapports groupe/individu et Potentialités artistiques du groupe)

 

 

Sa vie

Elle naît le 27 Juillet 1940 à Solingen en Allemagne. Elle s'élève dans le café familial à Wuppertal, une cité ouvrière, sans joie de la Ruhr, et passe une enfance difficile à cause de son angoisse vis-à-vis du monde adulte.

Une enfance en bien des points comparable à celle que raconte Annie Ernaux dans " Les Armoires vides ". Voir aussi : " Le Tambour " de Schlöndorff.

Une enfance qui coïncide avec la guerre.

Adolescente anorexique, elle commence en 1955 des études de danse à l'école de Folkwang à Essen avec Kurt Jooss comme directeur et entre autres professeurs, Albrecht Knust.

Jooss associe dans son enseignement la danse classique et la danse d'expression.

De 1959 à 62, une bourse universitaire lui permet de continuer ses études de danse à la Juilliard School de New York.

Elle danse avec Paul Taylor dans le " New American Ballet " et au " Metropolitan Opera " de New York

En 1962 : De retour en Allemagne, elle danse dans le " Folkwang-Ballett " fondé par Kurt Jooss et participe à plusieurs festivals internationaux. Parallèlement, elle approfondi les notions de chorégraphie avec Kurt Jooss mais surtout avec Jean Cébron (qui deviendra Maître de Ballet de la compagnie)

En 1968: Première chorégraphie : " Fragment ", créé pour Folkwang Ballett ; Musique par Béla Bartók.

De 1969 à 1973, elle assure la direction du " Folkwang-ballet ", continue à créer et participe aux plus célèbres festivals.

En 1972 : Philips 836885 D.S.Y., musique par Pierre Henry elle se frappe sauvagement le corps comme dans un exorcisme.

En 1973: On lui accorde la direction du " Théâtre de Wuppertal ", un théâtre classé C dans la ville ouvrière d'Essen, avec un corps de ballet classique d'opéra, le " Folkwang-Tanzstudio ". Elle fonde sa compagnie qui devient le " Tanztheater Wuppertal Pina Bausch " et impose son style. .La plupart des danseurs classiques s'en vont.

À partir de 1973 elle produit au moins une œuvre par an.

Elle s'éloigne de la chorégraphie traditionnelle et adopte le procédé de collage, compose à partir d'improvisations faites à partir de questions sollicitant l'introspection ou la mémoire de ses danseurs (cf. " Un jour Pina m'a dit ") (anamnèses typiquement expressionnistes)

Elle construit du spectacle à partir du matériau brut du danseur noté pendant les improvisations suscitées par les questions posées aux danseurs (sur eux-mêmes, sur leur passé, leur présent.) (cf. : la liste de questions)

Pina pose 5 à 6 questions par jour, pas loin de 120 pour environ 3 mois de travail (de 10 à 12 heures puis l'après-midi et le soir). À ses questions, il est possible de répondre ou de ne pas répondre.

Le plus souvent 1 ou 2 danseurs vont improviser sur la question devant le groupe de 25 danseurs. Elle ne manifeste souvent aucune réaction : mais note tout. Elle semble attendre le geste naturel.

Dans un deuxième temps, elle donne la liste des choses retenues et elle demande de refaire telle ou telle chose. Pour finir, elle constitue des blocs, les déplace, les réorganise. (de manière provisoire ! )

Son travail est communautaire, comme chez Kantor.

Les danseurs ont de multiples nationalités. Elle s'accapare de ce que l'autre a d'étrange et d'étranger ; elle travaille à l'œil et à l'oreille, sent la justesse artistique. Sa griffe est tout à fait personnelle.

1974 Début de la collaboration avec le décorateur Rolf Borzik pour les décors et les costumes.

1975 En 1975 : elle chorégraphie le Sacre du Printemps (qui reste l'œuvre-test pour entrer dans la compagnie).(Les danseurs ne parlent pas... mais évoluent dans le sable qui recouvre le plateau). La danse révèle une énergie rarement égalée.

 

1978 CAFÉ MÜLLER (l'engagement dans le Théâtre de danse " est manifeste.) (les danseurs parlent) (costumes grotesques : mélange de danse pure et du thâtre de danse)

1978 Kontakthof ce premier Stück crée au Théâtre de la ville en 1978 provoque le scandale : (costume de ville, utilisation de micro, processions, décor réaliste d'une salle de bal.)

Les stüke sont des séries de séquences, menées selon un procédé répétitif, sans que l'action théâtrale aboutisse, sans que rien ne soit conclu.

Elle modifie parfois au dernier moment l'ordre des séquences. En cela les stüke rappellent les "events".

Les thèmes des stücke sont " humains " : le désir, l'entité masculin-féminin, la vie, la mort. On y retrouve des fragments brouillés de sa propre histoire.

Pina se sert des outils de la danse pour dire son monde et le monde avec une dérision et une violence proches parfois de l'hystérie Sa danse est en relation avec les pulsions.Elle dégage une énergie caractéristique.

Elle cherche dans le langage corporel le moyen d'exprimer sa vision désespérée et révoltée de la société et le moyen de partager avec le spectateur des sensations extrêmes et brutales.

 

Elle place ses danseurs sur des scènes traditionnelles de théâtre, (lieux intérieurs) dans des décors encombrés d'objets hétéroclites (comme chez Brecht), d'herbe, d'eau, d'animaux. Elle habille ses danseuses de vêtements disgracieux ou sophistiqués, de chaussures à talon.

Cet encombrement du sol et ces contraintes vestimentaires favorisent la création et la déformation des gestes.

Les gestes sont donc inouïs, particulièrement reconnaissables de sa " griffe ". Mais ils ont été proposés par les danseurs au cours d'un travail d'improvisation faisant appel à leur vécu.

Elle applique à ces propositions le procédé de " trafiquer " : soit elle ruine la matière première, déforme, travestit le geste banal du quotidien, soit elle en déplace l'accent, soit elle répète le geste, l'inverse, le transforme.

Il s'agit d'un travail de deuil : détruire autant que construire.

Le " corps de ballet " peut rester à vue et au repos sur scène, puis devenir totalement ou partiellement participatif. Les soli s'intercalent avec les danses de groupe.

Les trajets de groupe - souvent processions ou parades avec des pas heurtés, des claudications, des attouchements répétés, précis et vains entre hommes et femmes - s'organisent en descentes frontales, en traversées latérales, en diagonales, en cercles.

Un décalage entre le rythme des pas et les mouvements des bras est fréquent.

Les rapports au public sont directs. (utilisation du focus). La parole, le cri, le chant sont fréquents.

Pina amène aussi une nouvelle conception aussi du matériau sonore fondé sur l'hétérogénéité : elle utilise des musiques de variété aussi bien que des musiques classiques, du chant aussi. Elle cherche comme Schaeffer et " l'acousmatique " une " musique la plus générale qui soit.

Ses spectacles fusionnent les Arts : (Art total)

 

En 2001 : un film : " Parle avec elle ", réalisé par Almadovar commence par une scène de " Café Müller ", l'une des pièces les plus connues du répertoire de Pina Bausch (1978) et s'achève par " Masurca Fogo " (1998). La danse est un des fils conducteurs de ce film. Pina y interprète elle-même un duo.

Ce n'est pas la première apparition de Pina Bausch au cinéma : il y a eu ses participations dans Die général Probe de Werner Schroeter en 1980 et dans Et vogue le navire de Federico Fellini en 1983.

Elle a conçu et réalisé elle-même "La Complainte de l'Impératrice" en 1989.

 

Son œuvre se continue :

La compagnie est multinationale.

2002 " AGUA ", création inspirée des ambiances de la ville de Sao Paulo au Théâtre de la Ville à Paris.

2003 " NEFÉS "

Zoom sur quelques œuvres

 Walzer (Valse) (1982) ( Maîtres de ballet : Jean CEBRON, Hans POP)

Walzer un stück : un collage de séquences. Pas de narration ou alors un tissu de narration avec toutes les possibilités : (retour en arrière, simultanéité, analogie…)

Il suit la mort du premier compagnon de Pina et a été crée juste après la naissance de son fils : mort, amour, mariage. Les œuvres de Pina s'ancrent sur son vécu personnel, ses obsessions. Même s'il ne s'agit pas d'une volonté autobiographique. Son principe est de « prendre» de l'humain chez elle et chez les danseurs qu'elle pille dans ce qu'ils ont de plus personnel.

Chacun vient raconter son histoire ; il y a des moments très ponctuels : pomme recrachée par Ann Endicott (anorexie) ; nettoyage des pieds. Les personnages naissent pour un sketch puis retournent dans la communauté où ils retrouvent l'anonymat.

C'est aussi un collage de la partition musicale : Valses, Hymnes, Franz SCHUBERT, Robert SCHUMANN, Tino ROSSI, Edith PIAF, sans aucune hiérarchie de valeur.

Le rythme de la danse peut ne pas coïncider avec celui de la musique : danse binaire (comme dans les parades) sur des valses ternaires.

La notion de personnage : elle ne vient pas de l'interprétation copiée de la vie (comme dans la pantomime ou au théâtre), elle vient de l'agôn retrouvé par le geste dansé.

Le jeu du « personnage » est bâti sur des techniques chorégraphiques contrôlées. Il est momentané.

Notion d'obscène : (ce qui est sur le devant de la scène) (les danseurs viennent à la rampe)

Notion d'agressivité : danseuse qui se sert d'objet pour frapper

Notion de répétition et de répétitivité : (répétition = ressassement)

Notion de dualité, de conflit ; (opposition entre communauté et individu, opposition de sexe)

Notion de répétition jusqu'à l'écœurement

principe du focus : le public est souvent pris à partie. Pina projette l'intime sur le public. (Une danseuse sort de l'espace scénique et « entre » dans le public). Paroles, cris, chants.

costumes théâtraux, sophistiqués ou disgracieux jusqu'aux chaussures

Les éléments du décor ont une l'échelle de proportion parfois faussée : les danseurs arrivent dans le port de Hambourg avec un petit bateau en papier.

Notion de fouillis, d'encombrement

Notion de dénaturation du geste : les filles gardent dans la parade les gestes des papouilles qu'elles viennent de faire aux hommes.

relation entre la mort et la vie : la mariée, les couronnes mortuaires.

Notion d'Art total mélange des arts : (un projecteur de cinéma est installé dans le décor, danse, théâtre, cirque…)

Walzer, qui dure plus de 3 h 30, se termine par un morceau de piano, peut-être pour indiquer que le spectacle est en boucle et pourrait recommencer.

La jonction de Walzer avec le programme de lettres de Première L

" Les Armoires vides " Annie Ernaux (thème du café)

Groupement de textes sur le Café

Doisneau

L'anorexie (plusieurs récits)

Le " tambour " Schlondorff

Almodovar,( Parle avec elle) Fellini, Bunuel

Cinéma Fassbinder, Lang

Ere du soupçon ( abandon de la narration), l'ant-théâtre

Oulipo

Brecht pour le désordre/ l'histoire

Kantor : pour le travail de deuil (détruire autant que construire) et l'aspect communautaire du travail.

Appia

Gordon Craig

Le processus de collage (DadaÏsme/cubisme) ( cadavres exquis surréalistes) hasard

En Arts plastiques : Kurt Schwitters et au cinéma Jean-Luc Godard

Musique : le rejet de la partition et le culte du principe d'hétérogénéité (musique acousmatique de Schaeffer et Bruitisme de Russolo )

L'individu et le groupe.

Deux œuvres sont des charnières de la carrière de Pina.

Le Sacre du printemps, 1975 c'est la dernière grande pièce de danse pure de Pina

Cette pièce est mythique : tous les grands chorégraphes ont proposé une chorégraphie.

Elle a un lourd passé : elle avait fait scandale en 1913 : (coups échangés entre les spectateurs tandis que Diaghilev faisait allumer et éteindre la salle pour tenter de ramener le calme)

La version de Béjart en 1959, inspire Pina. Le " Sacre " de Pina, reprend pas mal d'éléments (port du buste, danse virile)

 

Café Müller 1978 concrétise son évolution vers le théâtre de danse.

C'est un raccourci pathétique de tous les thèmes qui lui sont chers et qui touchent à la difficulté de vivre de communiquer. Les stüke développeront ou reprendront ces thèmes essentiels.

En 2002, à Genève, elle a dansé son solo… qu'elle n'a jamais transmis.

La charge autobiographique est importante : Pina demeurait des heures, blottie sous les tables du café paternel, à observer les adultes.

Elle a transposé sa vie, la vie, sous forme d'un corps à corps entre un homme, une femme, et peut-être le destin, dont elle est le témoin dans une sorte d'état second.

L'espace figurant un " café " est encombré de chaises qui sont des obstacles déplacés, repoussés, utilisés.

Des danseurs-personnages de deux sexes occupent l'avant-scène en contrepoint avec le solo de Pina situé dans le lointain.

Analyse de cette oeuvre chorégraphique

Café Muller, 1978, 45 mn de Pina Bausch, chorégraphe allemande de renommée internationale, née en 1940,au Grand Théâtre de Genève en Octobre 2002.

Danseurs : 6 dont Pina Bausch elle-même et Dominique Mercy (le français de " toujours " Pina accorde une valeur affective particulière à cette œuvre, n'a jamais transmis sa propre danse et a gardé autant que possible les danseurs qui l'ont créée) . Donc une pièce culte.

Perception du spectacle : milieu de la salle , en diagonale et en plongée. ( balcon, coté jardin)

a) décor : le lieu : une salle de théâtre à l'italienne. Ouverture du cadre de scène de 17 mètres.. Profondeur coupée par un rideau noir à 10 mètres environ.

Sur le plateau : des chaises et des tables de bistrot, sombres, éparses sur tout l'avant du plateau matérialisent l'intérieur d'un café " d'aujourd'hui ". Deux portes dont l'une à tourniquet figurent l'accès sur l'extérieur. On peut parler de " figuratif " mais la dimension symbolique est évidente. : un bistrot-désordre…un lieu peu plaisant. ( Les parents de Pina tenaient un café

b) éclairages et lumières

Dispositif important. (les éclairages sont faits par l'équipe technique de la compagnie et ne sont pas confiés au régisseur du lieu)

Eclairage flou produisant un halo, une atmosphère, jamais en pleine puissance et passant par l'obscurité.

c) Sons ( bande enregistrée) musique d'Henri Purcell. Par moment, absence de musique : on entend les bruits des corps des danseurs. Le mobilier est renversé : donc bruits réalistes. Heurt des têtes sur le décor.

L'ensemble produit un malaise, une tension.

d) personnes :

- On distingue les danseurs qui " jouent un personnage " ( la mère, ou grand-mère) et les danseurs qui dansent. (théâtre de danse)

Les costumes sont de Borzik : costumes " de ville " étranges : robe verte, chaussures à talons rouges, manteau rouge : impression de caricature et de laideur : costume classiques, sombres, convenables pour les hommes. Impossible de dater vraiment : époque contemporaine.

e) observation des états de corps

La forme est totalement subordonnée à l'émotion. ( principe expressionniste)

Les danseurs semblent entre rêve et réalité, heurtent le décor, cognent les murs. Désordre, convulsions, torsions, discordances.

f) observation du mouvement

- alternance de mouvements lents et rapides (du ralenti à la course) mais l'ensemble est violent, hystérique et place le spectateur dans un état de tension, voire de malaise. (il se sent voyeur, il perce des secrets, discerne des interdits)

- relation entre le bas du corps et le haut : très souvent le haut du corps bouge dans un autre rythme que le bas. ( la marche dynamique s'oppose aux bras tendus figés)

- oppositions entre une gestuelle masculine et féminine. ( différence d'accent)

- contrepoint : La même opposition a lieu entre les danseurs de la face et la danseuse du lointain. (chacun danse sur des rythmes différents) .

- Tension et relâchement : le swing de la danse de Pina est en contrepoint avec celle des autres danseurs où l'impact et l'impulse domine. Mais l'initiation du mouvement est la même : " le centre ".

- inscription dans l'icosaèdre : La souffrance est lisible sur les visages tendus et dans les corps : membres souvent anguleux indiquant plusieurs directions.

- La danse de la danseuse Pina est faite de gestes prés du corps, autocentrés, proches de la caresse. Pina est repliée, coupée de l'extérieur : absence de tension, fluidité du mouvement.

g) observation des actions :

les objets du décor encombrent les danseurs

- choc des danseurs contre le décor : mouvements convulsifs. Les danseurs se cognent au mur, se plaquent, perdent leurs appuis, s'effondrent. Angoisse ou anxiété.

- Contrepoint : Opposition entre les actions communes et les actions isolées. (une table dans le lointain. Le plus souvent chaque danseur semble enfermé dans sa solitude. Les rencontres sont fortuites et donnent lieu a des duos voire des trios. Certaines rencontres avortent.

- Le mouvement semble produit par l'intérieur des corps : semble initié par le torse , le " centre " : effet d'égarement : la danse semble répondre à des états intérieurs. L'extérieur semble bloquer, dévier, perturber l'accomplissement des gestes. ( perte de chaussures !) (collisions) ( principe de la rupture)

- La danse s'inspire de la comédie musicale, des sketches de cabaret, de la variété : humour noir peut-être ou cynisme. ( une danseuse dévoile sont dos, quitte son soutien gorge ) (grotesque du lieu, voire grivoiserie)

observation des modes de déplacements et trajets

Plusieurs marches, bras en avant, yeux fermés, rappellent le somnambulisme.

Des traversées en sautillement. Des instants de " sur place ".

pas d'utilisation de la 3 e dimension mais déplacements nombreux : traversées du plateau, entrées et sorties. En diagonale et en ligne droite : peu de cercles.

- Quelques rencontres sont à l'origine de danses de couple qui tournent court. (principe de discontinuité)

observation des rapports entre corps et musique

Souvent discordants

observation de la syntaxe

Pas d'histoire : mais le sens est présent : sorte de vision onirique d'un passé douloureux, d'une ambiance de bar pleine de violence et d'incompréhension.

Une séquence se refait " à l'envers " ( duo du couple et porté)

La répétitivité est très fréquente (principe du non aboutissement , et principe de l'abandon du projet)

Début d'interprétation :

Un monde vu par une enfant ? oeuvre autobiographique ? ) Cause de l'anorexie de Pina ?

Incommunicabilité ? enfermement, repli sur soi ?

La danse est de type expressionniste : grande présence de la théâtralité mais les " acteurs " n'utilisent pas des recettes de comédiens mais des fondamentaux de la danse.