Reproduction d'un article de Marcelle Michel après la présentation de Walzer en

1985

Le Théâtre de la Ville a été un des tout premiers à accueillir Pina Bausch et le ballet de l'Opéra de Wuppertal ; c'était en 1979 avec un remake des Sept Péchés capitaux de Bertolt Brecht et Kurt Weil, qui provoqua quelques émois. En Allemagne même, Pina avait créé le scandale, prenant le public a contrepied avec des satires meurtrières, accordées aux désarrois de la jeunesse d'après-guerre.

Dérision et violence

Elle est née en 1940 et son enfance, son adolescence, lui ont laissé une telle impression d'angoisse face au monde des adultes, qu'elle s'est longtemps enfermée dans un mutisme que seul pouvait vaincre le langage gestuel.

L'existence à Wuppertal, cité sans joie de la banlieue industrielle de la Ruhr, n'a fait que renforcer Pina Bausch dans ses visions désenchantées. Elle les pousse de plus en plus vers la dérision et une violence très féminine, proche parfois de l'hystérie.

Aujourd'hui les Américains la découvrent à leur tour. A Los Angeles, où plusieurs compagnies étaient invitées à l'occasion des Jeux Olympiques, elle et elle seule a réussi à perturber le public. On était loin des belles images glacées de Bob Wilson. La danse de Pina n'est pas neutre et, dans la mesure où elle réactualise le vieil expressionnisme allemand - celui de Kurt Jooss et de Mary Wigman qui annonçait de manière prémonitoire l'avènement du nazisme -, on peut se demander si le malaise qu'elle provoque n'est pas l'indice d'une crise mondiale où l'homme est menacé dans son intégrité et son ordre intérieur.

L'impossible communication

Pina Bausch nous est maintenant familière. Elle se situe dans une perspective historique. On reconnaît les maîtres qui l'ont marquée, comme Kurt Jooss, fondateur de l'école d'Essen dont elle est aujourd'hui la directrice; l'influence des américains Martha Graham, Paul Taylor, chez qui elle a dansé, et surtout José Limon dont elle reprend à sa manière le charisme. Mais elle a su dépasser ces influences et créer un langage personnel. Sa production, échelonnée sur une dizaine d'années, est multiple, variée de style. L'essentiel en est dit dans Café Müller, raccourci pathétique de tous les thèmes chers à la chorégraphe et qui se ramènent à l'idée de la non-communication, représentée de manière autobiographique. Pina se souvient qu'enfant elle demeurait des heures blottie sous les tables du café paternel, à observer les adultes. Elle a transposé ces moments sous forme d'un corps à corps entre un homme, une femme, et peut-être le destin, dont elle est le témoin dans une sorte d'état second. L'occupation de la scène est originale: l'espace, encombré de chaises, est dégagé au fur et à mesure que la danseuse se déplace, la mettant en situation d'empêchement et de danger.

Cethème de la non-communication, vécu dans l'angoisse et générateur de violence, va être repris avec de multiples variantes mais, à partir de Komm tanz mit mir, on ne peut plus parler de " ballets", dans -la mesure où le dessin chorégraphique n'est plus visible. Les spectacles sont plutôt construits comme des suites de séquences, qui traitent de comportements individuels ou collectifs. Le style et le climat varient suivant la musique (tangos, airs d'opérettes, succès des années trente, musiques de films...

 

Dérives

Bientôt la critique dramatique commence à penser qu'après l'agonie du théâtre parlé, poussé jusqu'à son cri ultime par Beckett, Pina Bausch propose une alternative intéressante où le langage du corps prend le relais du dialogue défaillant et usé. A la différence près, pourtant, que la troupe de Wuppertal est formée de danseurs, quotidiennement entraînés aux techniques classiques et modernes, et non de comédiens qui bougent.

Comme beaucoup de chorégraphes contemporains, Pina Bausch refuse la danse - divertissement. Mais elle refuse aussi l'idée d'une dramaturgie de la danse. Ses ballets ne sont pas des récits mais plutôt des dérives, menées selon un procédé répétitif, sans que l'action théâtrale aboutisse, sans que rien ne se conclue. On est au coeur de l'impuissance et de la frustration ; pas d'échappée, on tourne dans une sorte de huis-clos dont la vision serait insoutenable sans l'humour et la tendresse qui en tempèrent le désespoir.

On peut dire que chaque spectacle de Pina Bausch se nourrit de la substance de ses danseurs. Le matériel se dégage à partir d'improvisations sur des thèmes précis, des comportements quotidiens, où chacun doit aller au bout de sa propre expérience pour y trouver le geste juste, l'émotion vraie. Une quête parfois douloureuse qui crée des tensions, des psychodrames. Chez Pina comme chez François Verret les danseurs ont besoin parfois de partir quelques temps, de rompre la fascination pour retrouver leur équilibre.

Un univers d'un primitivisme bouleversant

Il existe un univers de Pina Bausch comme il en existe un propre à Bunuel ou à Fellini. Le sien se caractérise par le refus de la sophistication, le goût des vêtements laids, des attitudes communes, des situations violentes. La chorégraphe marque une prédilection pour les décors d'herbe, d'eau, d'animaux,. et une occupation vigoureuse de la scène avec de grandes descentes frontales, des traversées latérales éperdues, des enfermements circulaires, bref des parcours frustes. Les rapports au public sont directs, si bien que d'une création à l'autre les spectateurs identifient chaque danseur en tant que tel et non comme un personnage de fiction.

En dix ans, Pina Bausch a pris du recul pour traiter de l'existence de l'homme d'aujourd'hui. On peut se demander si avec Walzer elle n'atteint pas un point de non-retour dans l'expression de la peur et de l'angoisse malgré la référence douce à la naissance d'un enfant. Ce n'est peut-être pas un hasard si aujourd'hui elle se retourne en arrière : elle reprend des ceuvres plus dansées comme Barbe Bleue, Komm tanz mit mir, R Wandert et, venu de plus loin encore Le Sacre du printemps, oeuvre forte et dure, construite, d'un mouvement irrésistible et sur un rituel désespéré qui n'ouvre sur aucune rédemption.

 

MARCELLE MICHEL

 

Pour la quatrième fois au Théâtre de la Ville

TANZTHEATER DE WUPPERTAL

o 19h3O, mercredi 10, vendredi 12 et samedi 13 avril 1985

o 14h3O, dimanche 14 avril:

W A L Z E R (1982)

Une oeuvre de Pina BAUSCH

Mise en scène et chorégraphie Pina BAUSCH

Décors Ulrich BERFELDER

Costumes Marion CITO

Dramaturgie Raimund HOGHE

Assistants Matthias BUPMRT, Hans POP

Direction technique Rolf BACMANN

 

Musique Valses, Hvmnes, Franz SCHUBERT, Robert SCHUMANN, Tino ROSSI, Edith PIAF

 

Jacob ANDERSEN, Anne-Marie BENATI, Bénedicte BILLET, Mathias BURKERT Josephine Ann ENDICOTT, Mechthild GROSSMANN, Kyomi ICHIDA, Urs KAUFANN, Silvia KESSELHEIM, Ed KOR'TLAND, Béatrice LIBONATI, Anne MARTIN, Jan MINARIK, Dominique NERCY, Nazareth PANADERO, Helena PIKON, Hans POP, Arthur ROSENFELD, Monika SAGON, Jean-Laurent SASPORTES, Janusz SUBICZ, Francis VIET.

 

Nous remercions Frédérick LEBOYER pour le Film.

 

Durée du spectacle: lh30 - entracte(30') &endash; 1 h 4O.

 

TANZTHEATER DE WUPPERTAL

 

Maitres de ballet Jean CEBRON, Hans POP

Pianiste Matthias BURKERT

Régie générale Peter LUTKE,

Plateau Hans SEELICEP

Lumières Robert WINDECKER

Accessoires Roswitha BENTMANN

Son Hans-Jurgen FRUNDER

Chef Habilleuse Gaby SOGL

Chef atelier Léo, HAASE