Giselle ou les Wilis (28/06/1841)

I) Le contexte

Cette œuvre poétique, tendre est en accord avec les goûts d'une époque pleine d'inquiétude, de besoins d'échapper à la réalité quotidienne.

89 représentations jusqu'en 1849.

Elle reste le symbole de la danse "classique ", chef-d'œuvre du répertoire mondial.

L'histoire et la chorégraphie ont subi plusieurs modifications : les versions sont plus ou moins éloignées de la version originale dont on a quelques traces écrites.

 

C'est une œuvre romantique :

 

Le romantisme est un mouvement européen caractérisant le XIXème siècle qui se manifeste dans les Arts et le mode de vie dès la fin du XVIIIème en Angleterre et en Allemagne, puis en France, (avec Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre) en Italie et en Espagne..

C'est une nouvelle vision du monde inséparable du mal de vivre et des désillusions qui suivent la révolution de 1789 .

Il se développe sous la Restauration et la monarchie de Juillet et caractérise la période napoléonienne et l'industrialisation.

C'est une révolte des Modernes contre les Anciens pour se libérer des normes classiques, de l'emprise de le Raison, de la Modération., du Passé proche.

Les Romantiques réclament la liberté d' expression de leur sensibilité, de leur "moi" souffrant, incompris, de leurs idéaux de pureté.

Les Romantiques s'intéressent aux êtres simples et opprimés que ce soient des individus ou des groupes sociaux tels que le " peuple ".

Les Romantiques vouent un culte à la nature et au naturel, aux états primitifs, à l'inspiration spontanée , aux passions violentes.

Les Romantiques fuient dans le rêve, dans le surnaturel et l'étrange, dans le divin, dans l'exotisme ou le passé glorieux qu'il soit médiéval ou légendaire.

En France il connaît plusieurs phases :

a) Le pré romantisme (1750 - 90).

C'est celui qui précède et annonce Giselle : il s'agit

- d'un retour vers l'expression du moi et du registre lyrique.

- d'un abandon des codes comme principes artistiques : la clarté, la mesure, la symétrie, l'ordre , les bienséances…

- de la prise de conscience des dangers de la civilisation

(Des noms : Shelley, Beethoven, Schubert, Rousseau)

 

b) Le deuxième romantisme : le romantisme (1820 - 1850).

C'est celui dont Giselle est l'apogée : il s'agit :

- d'un désaveu de la société industrielle

- d'un culte pour la vie simple et la Nature primitive

- d'un culte pour le petit peuple

- d'un amour pour le morbide et la mort

- d'un culte pour l'inspiration, la folie, les sensations fortes

- d'un culte pour le monde médiéval et les légendes

( Des noms : Novalis Schuman, Schopenhauer, Marx …)

 

c) Le néo-romantisme, l'expressionnisme, (1880 - 1900).

C'est le contexte artistique du Lac des cygnes

Le terme nouveau d'Expressionnisme est venu du mot "expression" pris dans son sens classique de "représentation des passions". L'expressionnisme pousse au paroxysme les émotions traduites par l'art, la littérature et la musique. La forme, la couleur, le style expriment le sentiment tragique de l'existence et la révolte devant l'injustice, la guerre, l'ignominie sociale.

Il s'agit

- d'un désaveu du positivisme, de la Science, de la technique

- d'une forme aiguë de la crise et du malaise ( guerre contre la Prusse et ambiance qui " sent " la guerre de 1914.

- d'une envie de se réfugier dans l'Art (culte de l'Art pour l'Art)

 

II) L'affiche d'époque.

a) Ce qu'elle dit :

En haut "Académie royale de musique" C'est en fait l'Opéra de Paris, situé alors rue Pelletier)

"Giselle ou les Wilis" (titre exact, Giselle est écrit en gros caractères)

"Ballet-Pantomime." En 2 actes : La pantomime était pratiquée dans les foires (donc genre inférieur)

" Précédé de Moïse… opéra de Rossini" : On attire le public avec un opéra &endash; Moïse - et, en avant-première, on place Giselle.

Les noms des chanteurs sont mélangés avec ceux des danseurs, et les grands noms de danseurs du corps (tels que Lucien Petipa et Carlotta Grisi (22 ans)) ne sont pas distingués des noms de second ordre. Lucien Petipa danse le rôle Albrecht ; Carlotta, celui de Giselle.

b) Ce qu'elle ne dit pas :

- Jules Perrot,(31 ans) chorégraphe n'est pas mentionné. (L'opéra le boude, mais il est sûr qu'il a réglé tous les pas de sa " femme" : ex-danseur, élève d'Auguste Vestris, il est connu pour ses exigences techniques. Vrai aussi que Jean Coralli et Albert Decombe (Maître de Ballet de l'Opéra) guident les répétitions.

- Les librettistes ne sont pas cités : L'argument (le livret) est écrit par Théophile Gautier en collaboration avec Henri Vernois de Saint-Georges en s'inspirant d'une légende allemande de Heine..

N. B : Lorsque le directeur de l'Opéra avait décidé de faire une création pour Carlotta Grisi, (en pensant " recette" car l'Opéra n'a plus les subventions royales), c'est le livret de Gautier qui a été retenu car il traite de tous les thèmes romantiques à la mode.

(Gautier, par ailleurs, connaissait bien le monde de la danse, il était amoureux de Carlotta, la " femme" de Perrot, mais il a épousé sa soeur.)

- Le compositeur n'apparaît pas : La musique est d' Adolphe Adam : il compose au fil de la danse pendant les répétitions.

- Le nom de Pierre Cicéri, apparaît sur l'affiche pour la création des décors de Moïse, mais pas pour ceux de Giselle qu'il crée pourtant aussi, à partir d'éléments récupérés… même principe pour les costumes. Recette oblige.

 

Giselle est oubliée en France, dès 1868, mais survit en Russie grâce à Perrot et au frère de Lucien, Marius Petipa.).Giselle " reviendra " en France en 1910.

 

III) L'œuvre : le ballet : Giselle

Giselle n'est pas le premier ballet romantique : c'est la Sylphide (en 1818) dans lequel est apparu le tutu, mais on n'en a aucune trace.

Giselle est le premier ballet romantique dont on garde une trace.

Le terme de "ballet" a un sens très large : entre un ballet de cour et un ballet romantique la différence est telle qu'il n'y a aucune ressemblance. A cette époque le ballet est encore une œuvre de poète à partir de laquelle on crée une chorégraphie puis une musique assujettie à la danse.

Le registre lyrique est dominant. Dans le deuxième acte on abandonne le réel pour entrer dans l'irréel . Le registre tragique , catharsis, fatalité, pressenti dans l'excès d'amour de Giselle pour la danse ( encore une passion dangereuse ! ) aboutit à la tragédie.

L'intention de Gautier est de raconter l'histoire d'une passion : la forme est narrative, chronologique. C'est l'histoire d'une jeune paysanne qui perd la tête et la vie par amour.

La transition entre scènes et entre actes est fondée sur la logique narrative. Giselle est construit dans la tradition d'une pièce de théâtre. Les scènes sont marquées par l'entrée ou la sortie d'un personnage.

Giselle est composé de 2 actes contrastés de 13 scènes et a une grande distribution.

Le premier acte a un registre réaliste, rationnel

Durant cet acte pittoresque, le plateau est occupé par de nombreux personnages : de nombreux figurants pour représenter la fête villageoise des vendanges) Au deuxième acte, il y a moins de personnages : place aux tutus et au corps de ballet.

La pantomime et la danse de société alternent dans le premier acte. (3 valses, deux bourrées à 4 temps)

Le spectateur de l'époque voit danser sur la scène ce qu'il danse, lui, au salon. La musique de danses connues, traditionnelles alterne avec des musiques descriptives, pantominiques.

Il voit aussi de la danse plus technique et artistique faite pour magnifier Carlotta (grâce, légèreté…). Seule Giselle est sur pointe. (Début des pointes = 1818)

Dans tout le premier acte c'est le bas du corps qui domine (forts appuis sur le sol), le centre de gravité est près du sol. On remarque tout un travail du pied - pointe très variée. Tout est bâti sur la pulsation. Tout ce que fait Giselle - les pulsations, les appuis variés du pied, le poids du corps, l'utilisation réduite des bras - est ce que faisaient les hommes.

 

Le deuxième acte a un registre fantastique : c'est l'acte blanc, irrationnel( c'est l'acte blanc.)

Dans le deuxième acte, la danse change : il n'y a plus de pulsation : on est dans le phrasé. Il s'agit maintenant d'une danse de femme. Giselle a le regard en dehors de la direction des bras. Le regard n'est plus direct.

 

La musique :

L'orchestre : un orchestre romantique : flûte, hautbois, picolo, basson, clarinette, cor, cornet, trompette, trombone,triangle, tuba, grosse caisse, timbale, violon, alto, violoncelle, contrebasse, harpe.

L'instrument correspond souvent, et très conventionnellement, à un état. Par exemple : flûte = folie. Violon : amour, Cor = chasseurs. La danse la plus voluptueuse de Giselle est faite sur un alto.

Les tonalités s'accordent avec les personnages : par exemple :

La tonalité brillante en do majeur accompagne l'entrée du Prince.

La tonalité plus féminine en sol majeur correspond à l'entrée de Giselle.

La tonalité sournoise en mi mineur, correspond à l'entrée d'Hilarion.

 

Ces éléments préfigurent le traité de Berlioz (" Grand Traité d'instrumentation et d'orchestration modernes " de 1843) sur les correspondances entre l'instrument et l'émotion, les Correspondances Baudelairiennes et L'Art Total Wagnérien.

 

Enregistrement historique disponible en 2000 :

o Direction : Herbert von Karajan

Orchestre philharmonique de Vienne 1961

Decca 417 738-2

o Direction : Andrew Mogrelia

Slovak Radio Symphony Orchestra 1994

Naxos 8 550755-6

Vidéo

- captation télévisée de " Giselle " par le Ballet de la Scala de Milan (1996), avec Alessandra Ferri et Massimo Murru

- captation télévisée de " Giselle " de Mats Ek avec le Ballet Cullberg

 

Les effets de rupture caractéristique du drame romantique

(Hernani a fait scandale en 1830, mais le drame romantique est décidément au goût d'une époque, avec plus ou moins de mélodrame) Ces "ruptures" sont caractéristiques du ballet romantique et du drame romantique ; On rapproche facilement Giselle des drames romantiques : Musset : On ne badine pas avec l'amour.

Outre les oppositions dejà citées entre les actes :

Solos et duos alternent aussi.

Le pas de deux est un moment lyrique qui interrompt la trame narrative, dramatique.

Opposition entre le héros blond et le héros brun ( Albrecht et Loys)

Rupture de tonalités : mélange entre le mode mineur et le mode majeur.

Rupture entre les mesures 3/4 et 4/4

- Mélange des registres (comique, pathétique, lyrique, tragique, dramatique)

- Nombreux personnages

- Mélange du petit peuple et de personnages aisés (Relation entre le peuple des campagnes et l'élite sociale : monde du terroir : G. Sand et la littérature du terroir, thèmes picturaux )

- Ruptures musicales

- Solo et duo

- Mouvement en supination et en pronation.

- Dénouement tragique : mort de Giselle.

 

IV) Les éléments de composition

On note 3 éléments de composition

1) la pantomime ( dans le premier acte)

2) la danse (3 temps) ( valse en couple ouvert)

3) le thème. Pour le thème de la marguerite, 2 instruments se répondent : (voix mâle et voix féminine de la clarinette ou de la harpe).

V) Les thèmes

Tous les thèmes dans Giselle appartiennent à un héritage culturel : chaque thème est un ingrédient romantique littéraire.

1 - Le danger et la fatalité de la danse de la danse

- À l'époque romantique, lorsque reviennent au goût du jour les mythes païens et moyenâgeux, la danse &endash; qd elle n'est pas un métier - redevient porteuse de danger, de maléfices.

Toute gesticulation qui sort des cadres de l'humain, de la morne est une danse des fous.

De plus, le danseur éthéré, immatériel dérange dans la société matérialiste : il doit être puni parce qu'il échappe à la rentabilité. - La mort de Giselle peut être lue comme une punition (Catharsis) : expiation de sa faute : danser. (perturbation de l'ordre public) : L'émotion repose sur le principe d'Aristote : Terreur et Pitié.

2 &endash; L'irrationnel : prémonitions, Wilis, bal, le chiffre 13

3 &endash; Thème de l'automne et des vendanges : le terroir. Symbolique du vin, rappel des Bacchantes.

4 &endash; L'adolescence et la passion amoureuse : Giselle a 15 ans , Albrecht 20

cf : "On ne badine pas avec l'amour " Musset

5 &endash; Le blanc ( tulle, gaze …) ( couleur liée à la mort et non au mariage)

6 - Les cheveux : Giselle folle libère ses cheveux. ( Ce geste n'apparaît plus dans la version russe)

7 - Vulnérabilité des " faibles" . Giselle est naïve. Cruauté des grands. On note que la le Ballet National de Cuba, c'est Hilarion qui est le "gentil" : il représente le peuple.

 

VI) Analyse de la danse

( à suivre)

 

 

P.S toute critique est bienvenue.