Le contexte historique et social de la
Régence La monarchie absolue, de droit divin se relâche en
1715 avec la mort de Louis 14 , elle durera toutefois
jusqu'à la révolution (Mort de Louis 16) Avant la Régence : La
monarchie pure et dure: C'était une époque de despotisme. - où l'Église et le Pouvoir avaient
collaboré. - où le droit chemin était défini
par des principes, en effet, pour être honnête
homme il suffisait d'accepter de vivre selon les principes
en vigueur (le classicisme est un art de vivre à
l'aise dans une société rigoureuse, morale et
hiérarchisée) - où le Bien était ce qui était
raisonnable et où ce qui était raisonnable
était ce qui était voulu par Dieu et le
Roi - où le Raisonnable s'opposait à la
liberté et à la passion : la
littérature orthodoxe ne cesse de montrer le danger
des passions et de la liberté. (Mort de Don Juan,
Mort de Phèdre, Morale des Fables de La Fontaine) - où la littérature orthodoxe cherchait
à "plaire et à instruire", ce qui signifie
dans les faits : "séduire et manipuler" dans le but
d'intégrer. - où les courants de contestations étaient
jugulés au point de paraître marginaux et
secondaires et aussi peu présents qu'un magma.
(Courant Baroque, Courant Libertin,Querelles entre
jésuites et jansénistes autour de la
casuistique,Querelles entre Anciens et Modernes) Pendant : La
Régence C'est ce magma qui va profiter d'une faille : celle de la
Régence, pour exploser. C'est cette explosion qui
marque le changement de vie et de pensée du 18
ième siècle. Ceux qui avaient
été opprimés s'expriment et imposent
leur idées. 1) Les marginaux d'idées et de murs (les
libertins) divulguent leur matérialisme, leur
athéisme et leur Epicurisme : Ils imposent l'idée d'une recherche primordiale du
Bonheur terrestre ce qui destitue la promesse
éventuelle du Paradis et la philosophie
stoïcienne fondée sur l'idée d'une
souffrance rédemptrice. 2) Ils refusent d'être déterminés et
soumis à une puissance supérieure à eux
: ils se veulent libres d'assumer leur vie et ils veulent
chercher eux-mêmes les critères du Bien, du
Mal, du Bon, du Juste, etc. Ainsi tout va être mis à plat pour
être vérifié : il faut faire la
lumière, il faut trouver la Vérité.
C'est le doute total, le scepticisme, et l'effervescence
intellectuelle. 3) Ils refusent tout principe aliénant non
rationnel : les dogmes, l'obscurantisme religieux, la
tyrannie (despotisme), principes moraux, sociaux,
politiques. 4) Ils refusent toute entrave à la Paix sentie
comme un élément fondateur du Bonheur
terrestre et reflet de l'intolérance : inadmissible
dans un contexte de recherche, de relativité
(racisme, fanatisme, traditions et idées
reçues). 5) Ils n'admettent que deux seuls principes : a) la foi dans le progrès : optimisme face
à l'avenir b) la foi en l'homme : confiance en la nature humaine 6) Ils conservent du siècle
précédent a) une langue ( le français moderne) propre
à l'abstraction, langue qu'ils vont élaborer
encore davantage. b) une conception engagée de la littérature
en tant que moyen de véhiculer des idées
(conception humaniste) c) un raisonnement cartésien : logique,
clarté, preuve : c'est le rationalisme. (culte de la
Raison : du mathématique) (Cependant pour Descartes la Raison pure ( le bon sens)
était perçue comme une vérité
universelle, suprême, parfaite et attestait donc de la
présence d'un Dieu : le Raisonnable était le
divin, Dieu n'était pas compris dans l'Irrationnel,
il était du domaine du rationnel ... tout à
coup cette même Raison place Dieu dans l'irrationnel
puisque son existence ne peut être prouvée et
c'est au nom même de la Raison que la religion est
ébranlée). Les Excès C'est à cause de cette violence due à un
phénomène d'attrait pour l'interdit que des
excès vont être commis : 1) La confusion s'installe entre Bonheur et Plaisir,
entre Bonheur et confort. (aujourd'hui entre Bonheur et
égocentrisme : cocooning) cf. : le Mondain de Voltaire. cf. : les peintures de Troy "le déjeuner
d'huîtres", ou de Lancret "le déjeuner de
jambon" laissent voir des scènes "immorales" voire
"orgiaques". On boit, on fume (la pipe) cf. : prix du tabac et
position de l'Eglise face à l'herbe d'enfer). On fréquente les salles de jeux, les cafés
et les clubs privés La mode vestimentaire est aux décolletés
plongeants , aux wonderbras, aux vêtements amples et
transparents. On souligne de bleu le tracé des veines
sur les mains, parfois ailleurs... Ces confusions posent a) le problème de la définition du mot
Luxe b) le problème de la définition du mot
Luxure ( correction/ débauche) 2) L'argent devient une valeur essentielle pour
accéder au "Bonheur" : tout devient possible pour
arriver à en gagner : la triche comme le meurtre. 3) Vivre c'est jouer : la frivolité devient
la règle commune et le cynisme s'installe : c'est la
dolce vita qui tourne parfois à la perversion :Les
liaisons dangereuses ou aux sujets licencieux Les Bijoux. Et
ce avec d'autant de facilité que l'athéisme se
développe et que la casuistique jésuite excuse
tout. La Régence prend des airs de société
décadente "Satiricon" de Pétrone. La Louisiane est alors une colonie française. Les
colons réclament des femmes blanches. Après
les départs des "laiderons", ce sont toutes les
jeunes femmes nubiles hors la loi qui sont, entre 1717 et
1720, expatriées en Louisiane. Certaines femmes se mutinent pour échapper
à cet exil forcé et à cette atteinte
à leur liberté. Des slogans, dans les journaux, vantent de façon
mensongère les mérites de la Louisiane, pays
de l'or, du soleil et de la profusion. La réalité y est tout autre : une zone
marécageuse infestée de moustiques, chaude et
humide, une centaine de baraques et un régime
dictatorial. NB : la majorité des rois de France avait
été fixée à 15 ans en 1220 puis
à 14 ans en 1374. Au 16 le mot "libertin" entre dans la langue ; il a alors
le sens restreint de "indocile aux croyances religieuses".
Il a pour étymon "libertinus" signifiant "affranchi",
libéré. (même racine dans ville franche
= ville libérée d'impôts) Les libertins sont peu nombreux : ce sont des
hérétiques qui préfèrent
l'épicurisme au stoïcisme prêché
par la morale judéo-chrétienne dont ils
s'affranchissent. Ils cherchent le bonheur et les biens
terrestres. Au 17 ième siècle, la religion
chrétienne catholique est dominante. Louis 14
établit une monarchie absolue de droit divin et
gouverne avec le Cardinal de Richelieu. Le libertin est un dissident à l'orthodoxie
chrétienne ; c'est un libertin d'esprit, qui, par
provocation, lance un défi à l'Eglise pour
affirmer sa liberté. En ce sens libertin =
mécréant, impie. cf. : Don Juan. C'est aussi un dissident et un réfractaire
à la morale sociale : il n'accepte pas que la
société cherche à maîtriser ses
instincts et établisse une scission entre le haut et
le bas, entre Dieu et les hommes, entre la tête et le
sexe, entre le cur et la raison. Il refuse toute
entrave à sa liberté, tout ce qui s'oppose
à son envie de satisfaction immédiate. Sa
seule règle est son plaisir. En cela libertin =
amoral, pervers. cf. : marquis de Sade C'est un dissident social ; il refuse d'être mal
placé dans la hiérarchie. En ce sens libertin
= hors la loi C'est aussi un dissident, réfractaire aux
idées esthétiques de l'époque, au
classicisme. En ce sens libertin = baroque Les philosophes, surtout après la Régence,
ne sont plus en accord avec le libertinage : leur but
étant d'instituer des lois collectives pour
protéger l'intérêt collectif. Cette uvre est le 7 ième volume d'une
uvre intitulée Mémoires d'un homme de
qualité que l'auteur, François Prévost (1 avril 1697 - 25
Novembre 1763) a volontairement détaché de
l'ensemble en lui donnant un titre particulier : Histoire du
chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut paru en 1731 et qui
sera publié séparément, dès 1753
sous le titre de Manon Lescaut. L'auteur est, certes, un abbé : il fut
ordonné prêtre en 1726 après un noviciat
commencé en 1717, mais il eut une vie très
aventurière : il voyagea beaucoup, eu des
maîtresses, des dettes, fit de la prison, dut
s'exiler,et écrivit une uvre importante dont la
postérité ne gardera que Manon Lescaut.) Il s'agit d'un texte narratif transcriptif : l'auteur
raconte au lecteur de ses Mémoires, en narration
ultérieure et chronologique, ce qu'un homme, M Des
Grieux, lui a raconté : sa rocambolesque histoire
d'amour. L'uvre offre de multiples intérêts
: 1) Un intérêt documentaire : les
héros sont deux libertins représentatifs d'une
période très libertine de l'histoire de France
qu'ils nous font revivre : La Régence de Philippe
d'Orléans (Louis14 est mort, Louis 15 est mineur) 2) Des Grieux ressemble fort à l'auteur
lui-même et l'uvre prend ainsi l'allure d'une
autobiographie astucieusement camouflée 3) Un intérêt émotionnel : C'est
l'histoire d'une passion fatale. très "romantique" et
celle d'une amitié virile (celle de Des Grieux et de
Tiberge que la vie va séparer), ce qui explique le
succès de cette uvre au 18 ième mais
aussi au 19 ième et de nos jours où la
corruption et l'amour sont souvent mêlées. Les
héros sont une catin et un fripon mais ils s'aiment
et nous les aimons. 4) Un intérêt didactique : Rapport entre
l'Argent et l'Amour Rôle de l'argent (puissance et destruction) ?
Argent et Bonheur. Force des passions. Valeur cathartique de
la tragédie : Manon se repent ! 5) Enfin intérêt symbolique : on retrouve la
lutte entre le surmoi et le ça. Antoine-François Prévost (1697/1763) Les ressemblances entre l'auteur et
Des Grieux L'uvre est si étroitement liée
à la vie de l'auteur qu'il est difficile de
distinguer la fiction et la vérité
autobiographique, et ce d'autant plus que les "papiers" de
Prévost ont été brûlés par
son héritier. On doit remarquer que : 1) il naît à Amiens (Amiens est aussi la
ville de des Grieux), il naît en 1697 (par recoupements on peut supposer
que Des Grieux qui a 17 ans en 1715 est né la
même année que lui). 2) c'est un homme de qualité (des signes
extérieurs (surtout vestimentaires)
établissent une connivence spontanée entre
gens de la même classe sociale. La première
rencontre de l'auteur et de Des Grieux est fondée sur
cette connivence de classe. 3) il est orphelin de mère très jeune (Des
Grieux ne parle jamais de sa mère) 4) il fait ses études chez les jésuites et
à Amiens pis à Paris (Des Grieux aussi) 5) après un noviciat, il entre dans les ordres.
(Prévost est abbé) 6) il a été un démon et un ange Sa vie mouvementée est typique de celle d'un
libertin athée du 18 ième bien que
Prévost avait été ordonné
prêtre en 1721. C'est une existence paradoxale qui
mélange des options de vie que la morale, même
avec la casuistique jésuite, a du mal à rendre
compatibles : d'une côté la vie religieuse et
de l'autre la vie mondaine avec la débauche, les
délits, les femmes (Lenki), le luxe. Il y a une
ressemblance étrange entre Lenki (Eckhart) et
Manon. 7) Des Grieux tue dans un duel (interdit), Prévost
tue en duel 8) l'un et l'autre font de la prison 9) ils ont des dettes et manquent d'argent Et que : 10) le parti pris du "on m'a dit que" peut être
soupçonné d'artifice. 11) le parti pris pour une structure apparente selon la
vérité temporelle du récit (avant et
après le souper) 12) le parti pris pour un récit en temps
réel : durée de parole = temps de lecture. Cette uvre rappelle les grands principes de la
littérature classique : il s'agit de plaire et
d'instruire. En fait l'écriture est souvent
séductrice et la vraie intention de l'auteur est de
manipuler. Par un procédé littéraire habile :
le jeu du récit dans le récit, Prévost
enrobe probablement son histoire personnelle. Puis il affirme lui-même son intention didactique :
"le public verra dans la conduite de Des Grieux un exemple
terrible de la force des passions" La Némésis interviendrait pour punir ceux
qui ont pu troubler l'ordre public par une passion
dévastatrice, ceux qui ont cru à l'amour
humain au lieu de croire en l'amour de Dieu, ceux qui ont
essayé de vivre selon leur ça. La catharsis
fonctionne : le démon-Manon est éliminé
comme dans une tragédie. On retrouve le trio fatal : Une puissance
maléfique, Manon, Des Grieux. C'est, semble-t-il,
Dieu qui gagne : Manon meurt ; Des Grieux est
condamné à l'insatisfaction éternelle :
il perd son plaisir. La structure chaotique de l'uvre est due à
l'affrontement de Dieu et de Manon. L'uvre combat le désordre dû aux
passions humaines : le divertissement pascalien. L'uvre en apparence licencieuse a une portée
tout à fait moralisante. Un roman d'amour émouvant et tragique I) Qu'est-ce qu'un roman
? A l'origine, entre le 5° et le 8°
siècle, le Roman est une langue parlée. C'est
l'ensemble des dialectes résultant de
l'évolution du latin argotique que les envahisseurs
latins ont imposé sur le territoire de la Gaule. Vers le 9° siècle le roman commence à
s'écrire. Vers le 11° siècle, Roman va désigner
des uvres en vers écrites en roman racontant
des aventures par opposition à celles écrites
en latin . A partir du 14°siècle, l'appellation se
généralise , aux uvres en prose
racontant des aventures guerrières ou
sentimentales. Au 16° siècle, lorsque le Français
devient la langue officielle sur le territoire des Francs,
un roman va désigner une uvre d'imagination, en
prose, assez longue, "romanesque". II) Quels sont les critères
qui définissent un Roman en tant que genre
littéraire? Ce genre littéraire, "réservé
d'abord aux femmes et aux faibles d'esprit", dit Voltaire,
parce qu'il fait appel à l'imagination - et donc
manque de sérieux - se caractérise par
plusieurs critères : 1) c'est une uvre en prose, désignée
par un titre, et d'une longueur normalisée par
l'usage. Le contenu est découpé en chapitres
et en parties. 2) il y a une intrigue : un synopsis et un schéma
narratif 3) l'intrigue est située dans le temps et dans
l'espace (décor, époque) 4) un dénouement de l'intrigue est promis à
la fin au lecteur : le récit suit l'ordre logique du
temps, (la chronologie), et progresse au fil des pages. 5) les actants sont essentiellement des personnages qui
ont une psychologie. Ces personnages agissent en fonction de
cette psychologie. C'est d'ailleurs leur comportement qui
permet de définir leur psychologie. 6) le lecteur peut s'identifier aux héros. 7) l'histoire est racontée par un narrateur
à un destinataire universel 8) le lecteur attend une réponse, une
leçon, une vérification III) Vérification de ces
critères On retrouve tous ces critères dans le récit
de Des Grieux qui constitue à l'intérieur de
l'uvre un véritable roman, (il rappelle Tristan
et Iseult, Roméo et Juliette, Love Story) à
l'exception du narrateur qui est ici un locuteur et du
destinataire qui est ici l'auteur lui-même. En effet -Le titre : il met l'accent sur le personnage
principal, - L'intrigue : le récit d'un amour : sa naissance,
ses péripéties, sa fin. L'action est si
importante que l'on peut parler même de récit
picaresque. Les rebondissements sont
systématiques. L'actant de déséquilibre est très
marqué : c'est la rencontre avec Manon:
véritable virage dans l'existence. - une époque : la Régence - un lieu ( Amiens, Paris, La Louisiane) - une chronologie : l'histoire progresse d'un
début vers une fin. - des personnages : ils ressemblent à des
personnes : ils ont une psychologie très
marquée. - le procédé d'identification : il est
facilité par le thème : l'amour : une passion
facile à comprendre. - une leçon : on peut tirer facilement de cette
aventure une leçon. IV) Ce roman est tragique
: C'est une tragédie de l'amour dans la mesure
où Manon meurt. Mais Des Grieux est aussi une victime. La tragédie fonctionne à trois niveaux 1) Au premier niveau : celui du lecteur : C'est Manon qui incarne la fatalité
c'est-à-dire la puissance qui paralyse des Grieux et
lui ôte son libre arbitre : c'est à cause
d'elle que Des Grieux est détourné du droit
chemin et comme possédé par cette femme qui
fait figure de démon et qui l'a
envoûté.. cf. p 158 " Je cédai à
ses instances malgré les mouvements secrets de mon
cur qui semblaient me présager un
catastrophe" Des Grieux fait figure d'aveugle. cf. p 33 où son
père lui dit: " Comment pouvez-vous vous aveugler
jusqu'à ce point après ce que je vous ai
raconté d'elle" ou p 35 quand Tiberge lui dit : "
profitez de cette erreur de jeunesse pour ouvrir les
yeux" 2) Au deuxième niveau : celui de Des
Grieux Il se croit déterminé par une force
supérieure : il parle de "fortune cruelle", de
"destin" (p 186), il fait allusion à "Vénus et
Fortune" (p 64) Il évoque le Ciel ( p 39, 55, 63, 77,116, 130,
216,) Il parle de "châtiment du ciel", de "glaive", de
"frapper" (p 63,130,160 ) Pour lui, c'est l'amour qu'il porte à Manon qui
semble le dominer : Il parle de "fatale passion" (p 59,172) C'est cette passion venue du Ciel qui a causé sa
perte : il est tombé sous le coup d'une
malédiction.. Du coup sa perception de l'univers est verticale : le
Bien en haut et le Mal en bas. p 39 Des Grieux parle de
"chute" de "précipice". Il ne cesse de répéter "perfide Manon",
"ingrate et parjure" et finalement il se maudit d'être
forcé de l'aimer. 3) au troisième niveau : celui de Manon Manon n'a pas de libre arbitre : elle est
conditionnée par une force qui l'oblige à agir
: elle sait qu'elle fait souffrir Des Grieux mais elle n'y
peut rien. cf. (p 150) "Il faut bien que je sois coupable
puisque j'ai pu vous causer tant de malheur et
d'émotions ; mais que le ciel me punisse si j'ai cru
l'être, ou si j'ai pensé le devenir" En fait la vraie passion de Manon est l'Argent. (elle ne
l'aime pas en tant que tel mais parce qu'il est le moyen
d'accéder au luxe, de satisfaire son ça.) Poussée par cette soif d'argent, Manon est capable
de tout, n'a aucune morale. Rien ne résiste à
son besoin de vivre dans une couche sociale qui, au
départ, n'était pas la sienne bien qu'elle
sache lire ( p 143) Elle semble avoir commis l'ubris : échapper
par l'argent à ses origines, échapper par
l'argent au statut de médiocre. Elle sera victime de
la Némésis qui opérera la catharsis
finale. Conclusion Le factum est présent dans le récit L'interprétation du personnage et le
problème des responsabilités reposent sur le
bref silence, son hésitation au moment de
répondre à Des Grieux lors de leur
première rencontre : où allait-elle ? Quel est
l'intérêt qu'elle porte à Des
Grieux? La dimension tragique oblige à rapprocher cette
uvre des grandes tragédies classiques comme
Phèdre. A travers l'uvre est retracée la vie d'une
certaine classe sociale dans le Paris du 18 ième
siècle. C'est tout le mode de vie qui est retracé à
travers des personnages-personnes qui font de l'uvre
un document historico-socio-géographique sur la
Régence. On peut parler de réalisme à cause de
la précision des détails qui participent
à l'effet de vraisemblance. On note : 1) une réalité toponymique - quartier Saint Denis (20) - Rue de V (21) - École de Théologie (40) - Chaillot (46) - Hôpital général (83) - Rue saint André des arts ( 139) - Café Féré ( 139) - Pont Saint Michel (139) - Porte de la comédie (140) - Petit Châtelet (166) - Opéra - Saint Supplice La ville de Paris a des airs de tripot : elle accueille
une foule de jouisseurs, une pègre, sans foi ni loi,
qui se vautre dans le luxe et dans la corruption. 2) une réalité économique - un cadeau pour le frère à "deux cents
pistoles " ( 1 pistole = 10 livres = 70 F ) - une rente du frère : quatre cent livres - les emprunts chiffrés à Tiberge - une rente de 60,000 F pour 10 ans Les allusions à l'argent sont omniprésentes
dans le récit. 3) un inventaire des métiers de
l'époque - cocher, valet, laquais, cuisinier, archer 4) une peinture du mode de vie corrompu - p 50 et 64 les cambriolages et vol - p52 : le jeu d'argent - p111 : le travestissement de Manon en homme (
déguisement) - p 78 : la prison - p 98 et 110 : les 2 meurtres - p 117 : les mensonges ( ceux à Tiberge, tous
ceux de Manon) - p125 : la filature - p 145 : la prostitution - p 179 l'attaque de la diligence - p 94 : la fausse identité -p110 : le règlement de compte - cf. le problème des expulsions en Louisiane et
des filles publiques. Donc : une vie dure et souvent immorale où se
rencontrent la luxure, le mensonge, la délation, la
truanderie. Une vie fondée sur des principes qui
choquent la morale commune : l'hypocrisie et
l'infidélité sont des valeurs positives. 5) Une réalité psychologique Toute action est faite dans le but d'obtenir une
satisfaction : l'argent est un instrument : il n'est jamais
sale. La conscience est très élastique cf. p62
"d'autres prêtres savent accorder une maîtresse
avec un bénéfice ecclésiastique." L'apparence est une valeur importante : les
personnages sont beaux en apparence et orduriers à
l'intérieur d'eux-mêmes. Leur composante
psychologique est avant tout le cynisme et l'hypocrisie. Le langage est manipulateur : c'est par la parole que la
tromperie fonctionne le mieux. Le frère de Manon est le cas-type de cette
période historique: c'est, à bien des
égards, un voyou. Elle est vénale : elle donne son corps pour vivre
dans un monde de luxe : ce n'est pas l'argent qu'elle aime,
c'est le bonheur matériel qu'il peut procurer. Elle estime avoir le droit de se procurer ce bonheur
comme elle l'entend. : son corps lui appartient, aimer, ce
n'est pour elle que s'engager sur un sentiment. Tout homme est pour elle une proie ( jeunes et vieux (le
père et le fils ) : on peut penser qu'elle les
escroque. Elle a une conception particulière de la
fidélité : "la fidélité que je
souhaite de vous est une fidélité de
cur" (p 155). Cette fidélité sentimentale n'a rien
à voir avec le don de son corps. (Cf. Sandrine
Bonnaire dans "Sans toit ni loi" "je suis propre dans ma
tête" L'aisance matérielle est la condition sine qua non
à son amour sentimental : Elle dit : "Crois-tu que
l'on puisse être bien tendre lorsqu'on manque de pain
?"( p 67) Elle partage volontiers cet argent avec l'homme
qu'elle aime, elle est d'une générosité
à toute épreuve : elle héberge son
frère qui vit à ses crochets. Elle agit pour le bonheur de celui qu'elle aime : elle
envoie même pour distraire son amant, une de ses
amies, la plus belle , afin qu'elle passe la nuit avec
lui. Elle se sait "coupable" mais elle ne se sent pas
"responsable" (p 150) "il faut bien que je sois coupable
puisque j'ai pu vous causer tant de malheur et
d'émotions ; mais que le ciel me punisse si j'ai cru
l'être, ou si j'ai pensé le devenir" Au moment de sa mort Manon se repent : "J'ai
été légère et volage et
même en vous aimant comme je l'ai toujours fait, je
n'étais qu'une ingrate. Mais vous ne sauriez croire
combien je suis changée" (200) Difficile à juger dans le contexte d'une morale
judéo-chrétienne dont elle bouleverse les
principes.