• Dans Hamlet de Shakespeare, le héros s'adressant à un comédien déclare "L'objet du théâtre a été, dès l'origine, et demeure encore, de présenter pour ainsi dire un miroir à l'âme humaine et à la société, et de leur montrer quels sont leurs aspects et leurs caractères".

Après avoir reconnu le bien-fondé de cette affirmation, on nuancera cette notion de miroir, puis on montrera qu'une telle définition reste tout de même insuffisante.

 

LE THEATRE MIROIR.

Les hommes peuvent y retrouver une image fidèle de leur âme et de leur société :

a) l'âme avec ses grandeurs

-héroïsme juvénile

. chez Alceste animé par la passion de la franchise (1165-1168)

. chez Polyeucte qui renonce à la vie et à l'amour pour répondre à l'appel de Dieu.

. chez l'Antigone d'Anouilh qui se sacrifie à son exigence de justice et de pureté.

- honneur :

. qui pousse Rodrigue et Chimène à faire leur devoir, quoi qu'il en coûte, et afin de préserver l'estime mutuelle qu'ils se portent et sans laquelle leur amour ne pourrait subsister.

-qui pousse Hernani à s'empoisonner par respect de la parole donnée, au moment où il touchait enfin au bonheur.

. qui pousse Antony à tuer sa maîtresse, à sa demande, au moment où ils vont être surpris par le mari, et ceci pour sauver l'honneur de celle qu'il a compromise. "Elle me résistait, je l'ai assassinée" (Alexandre Dumas,Antony.)

- volonté de dépassement (morale cornélienne):

. Horace et Curiace s'affrontant pour faire triompher leur cite alors qu'ils sont marié ou fiance à la soeur de leur adversaire

. Polyeucte brisant les idoles, renonçant au monde et à l'amour pour accéder à la gloire supérieure du martyr.

. Auguste pardonnant aux conjurés qui avaient voulu l'assassiner afin de se prouver à lui-même qu'il s'est débarrassé de ses mauvais instincts.

- une noble conception de l'amour.

. fondée chez Corneille. sur l'estime pour le mérite:

"Je l'aimai,Stratonice: il le méritait bien" fit Pauline de Sévère). Voir aussi dans Cinna Emilie définissant devant l'infâme Maxime qui prétend l'aimer, ce qu'est pour elle l'amour

. inspirant des actes sublimes : amour impossible certes (un laquais amoureux d'une reine!) nais qui donne à Ruy Blas le génie nécessaire pour sauver l'état en perdition (III,3).

- un idéal de liberté.

. Chez Corneille: adhésion consciente de 12 volonté aux actes que réclame la 'gloire LM 123) "Je suis maître de moi comme de l'univers" réclame Auguste (1696-1700). Voir de même Polyeucte résignant Pauline à Sévère afin d'être libre pour mieux répondre à l'appel de Dieu :lV,4 puis 1656 et 1669. Voir encore l'Alidor de La Place Royale de Corneille, premier héros volontaire du théâtre cornélien, qui aime Angélique et en est aime mais sacrifiera cet amour,volontairement. pour affirmer la toute-puissance de sa volonté et de sa liberté (voir la tirade de 1,4,v. 209 et sq. et le dernier monologue:

"Je cesse d'espérer,et commence de vivre,

Je vis dorénavant puisque je vis à moi,

Et quelques doux assauts qu'un autre objet me livre

C'est de moi seulement que je prendrai la loi.

Chez Sartre, tout homme digne de ce nom parvient, en chaque circonstance,à taire le libre choix de l'acte authentique qui l'exprimera vraiment (Oreste dans Les Mouches)à l'inverse des faibles habitués à se réfugier dans un conformisme qui les dispense de se décider.

 

b )L'âme avec ses faiblesses

- passions coupables (en particulier passion racinienne qui fait oublier tous les devoirs et dégrade eux qu'elle dévore LM 291-292)

. passion amoureuse Phèdre esclave d'un amour qui ne lui inspire que honte et remords

 

Jalousie:

= quand Phèdre(IV,4) vient trouver Thésée, c'est pour sauver Hippolyte(1196) calomnié par Oenone mais apprenant qu'il aime Aricie et qu'elle a donc une rivale, elle ne fera finalement rien pour lui et il périra donc par sa faute.

= Andromaque ,s'étant décidée à épouser Pyrrhus,Hermione,folle de jalousie, demande à Oreste d'assassiner son fiancé infidèle (IV,2)

= jaloux de Britannicus(659), Néron intime à Junie l'ordre cruel de décourager elle même son amant (II,3 4 et v. 690).

= jalousie de la cruelle Mara qui s'acharne sur sa soeur Violaine (mais qui finira par se régénérer grâce au pardon de la sainte(Claudel,L'annonce faite à Marie)

. avarice, qui pousse Harpagon à tyranniser toute sa maison et à contrarier le bonheur de ses enfants.

Ambition, qui pousse Agrippine à maintenir son fils dans la sujétion pour régner derrière lui .

. orgueil, qui fera des criminels de Camille et de Perdican.

-vengeance:

= Emilie, voulant se venger d'Auguste qui a jadis fait périr son père,force Cinna à la promesse qu'il lui a faite et à exécuter l'empereur,alors que le jeune homme éprouve pour lui admiration et affection(1049 sq,)

= Don Salluste tramant une vengeance ignoble contre la reine d'Espagne qui l'a disgracié (Ruy Blas)

-fanatisme:

= qui ferme à toute pitié (Don Diègue,Horace)

= fanatisme belliqueux qui parviendra à triompher de la bonne volonté tes partisans '; de la paix (Giraudoux,La guerre de Troie n'aura pas lieu).

= Dans Mahomet (1741) de Voltaire, le jeune Séide (le nom propre est devenu nom commun par antonomase) fanatisé par Mahomet, fait taire ses sentiments d'humanité et accepte de tuer Zopire, chef d'une secte adverse, lequel se révélera finalement être son père:

Immoler un vieillard de qui je suis l'otage,

Sans armes, sans défense,appesanti par l' âge

N'importe (...)

Enfin dieu m'a choisi pour ce grand sacrifice

J'en ai fait le serment, il faut qu'il s'accomplisse (..)

Ange de Mahomet, ange exterminateur,

Mets ta férocité dans le fond de mon coeur" (III,7,Théâtre du XVIIIème s. )

- aussi un certain fanatisme chez Nérestan,dans Zaïre .

- médiocrité des anti-héros" (LM, 17ème s. Corneille, 116-117)

Chez Félix en particulier,peur(329)ambition sordide(1049 sq.),hésitations.

 

c) l'âme et sa complexité

-âmes tiraillées et déchirées

-Alceste entre ses principes et son amour

-Phèdre entre ses passions et l'honneur d'elle-même

-Tartuffe entre sa sensualité et son intelligence tactique

-Hermione entre l'amour et la haine

-Lorenzaccio entre la conscience de l'inutilité de son projet et la nécessité de le mener à son terme pour se justifier à ses yeux et aux yeux des autres.

- méandres de la naissance de l' amour :

Chez Marivaux: LM,44-45,

Chez Musset : L'orgueil vaincu par l'amour au prix d'une mort ( On ne badine pas...)

2) le miroir de la société

a) le théâtre peut évoquer

-un cadre de vie sociale

Comédies de Corneille : la Galerie du Palais (de justice).avec ses boutiques de mercier; la Place Royale, promenade à la mode sous Louis XIII (LM,99),

. salon aristocratique(Misanthrope) salon d'une bourgeoise pédante (Femmes savantes)

. maisons bourgeoises plus (L'avare) ou moins (Tartuffe) aisées.

- une idéologie dominante :

Les tragédies de Corneille, même si elles ne traitent pas directement de problèmes contemporains, reflètent en réalité ce que fut l'âme de toute une génération avide d'héroïsme et de grandeur humaine.

b) il peut renvoyer à une société l'image des maux qui la rongent

- prétentions ridicules des parvenus (M. Jourdain)

- fausse dévotion efficace et redoutable (Misanthrope,v,124 sq,- Tartuffe,Dom Juan,LM,21)

-futilité ( petits marquis) de la noblesse, ou absence de scrupules lorsqu'elle est aux abois (Dorante dans Le Bourgeois...)

- éducation rétrograde fondée sur la contrainte et l'ignorance (Arnolphe).

- pouvoir de l'argent : (Turcadet, Topaze)

c) il peut se faire l'écho des revendications

- protestations élevées par les plus défavorisées contre l'arbitraire et les privilèges ( Le mariage de Figaro) ou contre la corruption (Ruy Blas)

- détresse de "l'homme spiritualiste étouffé par la société matérialiste" (Vigny : Chatterton)

Discussion

1) Limites de la conception du théâtre miroir

a) Le drame selon Diderot : d'une part. se veut imitation fidèle de la réalité courante et des moeurs contemporaines (peinture des conditions et des relations de famille LM,227); et d'autre part, prétend refléter idées et vertus de la classe bourgeoise montante (LM,229 en haut) en réalité il échoua et n'est qu'ennuyeux et moralisateur

b) De même pour les "pièces à thèse" du XIXème s. : Dumas fils (CS,XIXeme,p.247).

c) Inversement (preuve "a contrario"): les pièces de Marivaux et de Musset qui se situent souvent dans un univers irréel ou fantaisiste n'ont rien perdu de leur charme.

2) Un théâtre qui n'est pas toujours fidèle du fait des caractéristiques particulières

a) concentration (de là la fameuse règle des 3 unités, et la notion de "crise"; . au XIXème même, la citation de Hugo, LM,p. 234, 3.)

b) grossissement faire la différence, par exemple, entre Tartuffe et Onuphre (LM,413)

c) valeur symbolique des personnages, forcément stylisés et réduits à l'état de types Harpagon,l'Avare; "Ruy Blas, c'est le peuple"(Hugo).

3) Une autre fonction essentielle du théâtre : être avant tout spectacle

Et ceci pour favoriser l'évasion du spectateur (déjà au 17e comédie-ballet et pièce à machines ; au XIXème la mode de la couleur locale (Lorenzaccio,tableau historique).

A cette fonction du théâtre ,contribuent décor,costumes, jeu des acteurs, éclairages, symboliques des couleurs.

 

CONCLUSION PERSONNELLE