Voici donc le cours séance par séance, sur le Roman ( Thérèse Raquin et Moderato)

 

 

Pré-séance de contrôle de lecture

 

1) Quel est l'animal présent dans Thérèse Raquin ? Comment finit-il sa vie ?

2) Comment commence la liaison de Thérèse et Laurent ? Comment finit-elle ?

3) Moderato Cantabile : d'où provient ce titre ?

4) A quelles classes sociales appartiennent Thérèse, Anne, Chauvin, Laurent ?

Séance 1 :

Premier temps : Réponse à la question sur la vie de Zola

L'oeuvre littéraire est très souvent en rapport avec la vie de l'auteur.

Ce qui a pu influencer Zola c'est :

a) ses origines sociales

C'est un fils d' immigré Italien naturalisé, ingénieur et d'une mère française, née Aubert.

Bien qu'il soit, lui, né à Paris en 1840, il passe son enfance en Provence ( Aix en Provence)

Il est ami avec Paul Cézanne. ( ce peintre en coflit avec son père,aura ensuite du mal à imposer sa conception de la peinture et Zola le défendra )

A 7 ans son père meurt et la famille va connaître des difficultés financières.

b) ses emplois d'ouvrier

Il a échoué au baccalauréat.

Il est employé à la Librairie Hachette pour ficeler les colis.

Il est employé aux docks de la douane.

c) une expérience sexuelle traumatisante

Il décida de racheter la prostituée avec laquelle il a passé la nuit en 1860 et qu'il avait fait souffrir.

" Toute la saleté humaine s'est dressée devant moi"

d) sa passion pour Jeanne Rozerot avec qui il aura deux enfants , Denise et Jacques, que sa femme élèvera.

e) l'anti-bourgeois

Il se met à dos l'Etat, l'Armée et la bourgeoisie bien pensante et raciste en prenant la défense de Dreyfus

( accusé d'avoir communiqué des renseignement secrets à l'Allemagne : Dreyfus était Juif; le coupable était Esterhazy)

"J'accuse" s'attaque directement aux plus hauts chefs de l'Armée.

Il est condamné à l'exil en Angletterre

4 ans après la mort de Zola, Dreyfus sera réhabilité.

f) l'idéologie socialiste

Il sera séduit par les idées de Marx et son besoin d'enquêter le conduira à des contacts avec le peuple.

Conclusion : Une âme de boy-scout, prend le parti des faibles. Justicier.

 

Deuxième temps : GENERALITES : La notion de Roman : Spécificité de ce genre

Pourquoi ces oeuvres sont de " Romans " ?

A l'origine, entre le 5° et le 8° siècle, le Roman est une langue parlée. C'est l'ensemble des dialectes résultant de l'évolution du latin argotique que les envahisseurs latins ont imposé sur le territoire de la Gaule.

Vers le 9° siècle le roman commence à s'écrire.

Vers le 11° , Roman va désigner des oeuvres en vers, écrites en roman, racontant des aventures par opposition à celles écrites en latin .

A partir du 14°siècle, l'appellation se généralise , aux oeuvres en prose racontant des aventures guerrières ou sentimentales.

Au 16°, lorsque le Français devient la langue officielle sur le territoire des Francs, un roman va désigner une oeuvre d'imagination, en prose, assez longue, "romanesque".

Au 18e le roman, "réservé aux femmes et aux faibles d'esprit", dit Voltaire, parce qu'il fait appel à l'imagination - manque de sérieux . Il ne correspond pas à l'esprit rationnel des Philosophes des Lumières.

Au 19 e le roman trouve son épanouissement dans les grands romans réalistes qui racontent des expériences humaines.

Aujourd'hui quand on évoque l'idée de roman, on pense aux grands romans du 19e et du début du 20e ( Balzac, Stendhal, Flaubert, Hugo) :

C'est en référence à ces oeuvres que l'on peut dégager les "normes" du genre :

La prose, la narration chronologique , ; une situation initiale, un évenement de déséquilibre ( la rencontre avec Laurent) une situation finale , le lieu, les personnages-personnes, le point de vue de l'auteur, l'intrigue, le sens de l'œuvre.

Aujourd'hui on trouve toujours de romans traditionnels(Les Goncourt, Bourget, Mauriac, Sagan)

Mais au 20 e il y a eu des courants réactifs, par exemple :

a)Proust (attaché à la "vraie vie" celle de la mémoire)

b) Gide : soit l'Immoraliste qui est un récit à l'intérieur du récit

soit Les Faux Monnayeurs qui est le roman du roman

c) les romans surréalistes

Vian : L'arrache coeur

Queneau : Les Fleurs bleues

Breton : Nadja

d) Mais surtout les " Anti-Romans " qui s'opposent vraiment à la tradition et aaux lois du genre: ce sont les oeuvres d'une équipe de romanciers regroupés autour des Éditions de Minuit (Sarraute, Robbe-Grillet, Simon) qui ont envie de faire autre chose que ce qui a été fait, et ceci au nom

- de la liberté du lecteur

- de l'interdiction de faire de l'auteur un démiurge sachant tout : l'auteur fonctionne comme un témoin, n'ayant pas les clés de ce qu'il raconte et ni celle de la finalité : c'est au lecteur de questionner, d'imaginer.

" Un bon roman ne doit pas être un divertissement facile"

- des découvertes de la psychologie (Freud)

- des philosophies pessimistes et matérialistes ( existentialisme, philosophie de l'Absurde)

La plupart des oeuvres sont des expériences d'écriture, jouant avec les limites du genre.

 

Séance 2

Moderato Cantabile raconte comme Thérèse Raquin l' histoire d'une passion amoureuse tragique :

1 - MAIS l'action n'est pas comme on pouvait s'y attendre au début dans le crime ( Duras crée de fausses perspectives : un roman policier ? Une idylle entre une bourgeoise et un prolétaire ( Cf Lady Chatterley) Une étude critique de la société ? Aucune de ces pistes n'est vraiment satisfaite.

Non, l'action se réduit à 4 dialogues et à 4 allers-retours. L'enquête sur le crime n'avance pas.

Il ne se passe presque rien entre Anne et Chauvin.

Pire , ce sont des faits secondaires qui passent au premier plan : la leçon de piano, le vin, les déplacements du couple dans le café, le tricot de la patronne. Aucune sélection n'est faite : tout pouvant avoir de l'importance.

Le narrateur ignorant ce qui va se passer raconte tout sans sélection.

2- La durée

Le récit a lieu au printemps, commence un Vendredi et finit le dimanche de la semaine qui suit (9 jours pleins): c'est donc une tranche de vie qui est racontée.

MAIS la durée est particulièrement brève.

De plus il y a sans cesse des ellipses narratives :

Ch 1 : Vendredi : est raconté le moment de la leçon

ch 2 : Samedi : est raconté la première rencontre

( puis deux jours sont sautés)

ch 3 : Mardi : 2e rencontre

Ch 4 : mercredi : 3e rencontre

( ellipse d'un jour)

Ch 5 : Vendredi : 2e leçon

Ch 6 : Vendredi : 4e rencontre

Ch 7 : Vendredi : est racontée la réception d'Anne

( ellipse du Samedi)

Ch 8 : Dimanche : 5e et dernière rencontre

 

C'est donc un récit en pointillés et ce d'autant plus que c'est quelques heures seulement qui sont racontées chaque jour.

Les quatre premiers chapitres couvrent 6 jours.

Les 3 suivants couvrent 1 jour (ralentissement narratif)

Aucun retour en arrière.

Le temps du récit semble correspondre au temps de la parole.

 

On peut dégager des oppositions entre

a) le temps raconté et le temps occulté

b) le temps extraordinaire (celui des rencontres où les deux personnages échappent à leur quotidien) et le temps ordinaire.

 

3- Les personnages : ils sont bien classables dans les catégories habituelles :

- personnages principaux : Anne, Chauvin

- secondaires (l'enfant, la patronne, Melle Girard et comparses (les invités d'Anne, les clients du café))

MAIS aucun personnage n'est présenté précisément : on est obligé de s'en faire une idée : l'auteur ne crée pas des personnages, il demande au lecteur de se les créer à partir de quelques indications de base.

Par exemple : Anne et son fils sont blonds, Chauvin a les yeux bleus

Leur psychologie est imprécise. Chauvin et Anne restent des énigmes. Leurs actes permettent de découvrir certains traits de caractère mais il y a des contradictions et finalement c'est le flou qui domine. ( La patronne est-elle complice des amoureux ? )

4- Le décor

Il est fait allusion à un port, un chantier naval, un café.

Mais

Le décor semble jouer un rôle symbolique :

- à cause des oppositions :

a) monde clos et monde ouvert

( appartement et rue , café et rue, jardin d'Anne et boulevard)

b) le soleil et la pénombre

c) la terre et la mer

d) le bleu et le rouge

ciel bleu égale évasion, soleil couchant égale fin de l'après-midi et retour dans le quotidien

e) la sortie d'Anne et son retour

 

4) à cause des ambiguités

" Le boulevard de la mer" ( il ne va pas à la mer, mais longe la mer, il sépare deux lieux et deux milieux sociaux : c'est une distance qu'Anne franchit.. Il sépare aussi le monde maritime ( l'espace, la liberté et le monde terrestre)

La grille de la maison d'Anne semble jouer le même rôle symbolique ; de même le magnolia, de même le couloir dans la maison)

 

5- Le récit

On est dans le domaine du récit :

-on sent la présence d'un narrateur qui a une focalisation externe. : " l'homme a lâché les grilles du parc. Il regarde ses mains vides. il lui a poussé un destin"

ou " Le même émoi la brisa, lui, ferma les yeux. la patronne se leva"

 

Mais on a l'impression d'échapper au roman pour se rapprocher d'un autre genre littéraire : le théâtre : on voit et entend par séquences ce qui se passe dans d'un huis-clos, d'un décor de théâtre : on se sent spectateur de quelque chose que l'on ne comprend pas : on s'interroge tout le temps et on se fabrique son histoire, son interprétation des faits.

 

Il a des répliques

Il y a un langage parlé avec absence de procédés rhétoriques

iIl y a des scènes et des actes successifs (dans l'appartement du professeur, dans le café, chez Anne)

Le chapitre correspond à une entrée ou une sortie

 

6- La langue

- Le style passe par deux niveaux : le style oral et le style écrit ( phrases poétiques p 9, 54, 55, 60, 67, 68, 71, 75)

hypallage : le désordre blond de ses cheveux

néologisme : le fleurissement (69)

 

7- L'intrigue

C'est ce qui déroute le plus.

L'intrigue reste suspendue . Pas de fin. L'auteur ne prétend pas comprendre. Il se comporte comme un témoin.

Depuis l'Ere du Soupçon, le langage n'est plus fiable.

Conclusion : Un tour de force : 2 millions d'exemplaires vendus : succès de scandale et de curiosité.

Moderato Cantabile : le parti pris du différent, voire du contraire.

Ce roman est tout le contraire d'un roman traditionnel.

 

 

Séance 3

Première partie : Le Réalisme

Thérèse Raquin parait d'abord en feuilleton puis est publiée en 1867 par Emile Zola (1840-1902 : mort par asphyxie). Le jeune écrivain est vite séduit par le Réalisme, tendance littéraire lancée par les Goncourt et ayant pour but d'observer et de décrire la société en toute objectivité, de témoigner d'une époque, de faire oeuvre documentaire.

" le réalisme conclut à la reproduction exacte, complète, sincère du milieu social, de l'époque où l'on vit " Duranty

Le réalisme "aspire à devenir l'expression de la banalité quotidienne" Champfleury

Ce parti-pris est caractéristique :

a) d'une nouvelle manière d'écrire choisie par les romanciers du 19° siècle Stendhal, Zola, Maupassant, Flaubert, Balzac) et qui s'oppose au courant Romantique du début du siècle et à un usage antérieur qui consistait à ne raconter que de "belles choses", à ne parler que de "belles gens", à cacher les aspects animaliers de l'homme ( cf Romans Précieux) mais qui remonte au 16° siècle avec l'oeuvre de Rabelais, par exemple.

b) d'un tournant dans l'histoire de la littérature : les romans au 19° paraissent en feuilleton dans les journaux et sont lus ou entendus par un nombre croissant de personnes venant de couches de plus en plus populaires.

c) d'une conception nouvelle du rôle de l'oeuvre de fiction, héritée des contes philosophiques du 18°, et faisant du roman une oeuvre engagée : dénoncer la misère sociale.

 

Voici donc les preuves du Réalisme dans Thérèse Raquin.

 

a) un décor vrai :

Un quartier parisien : le 6° arrondissement, quartier rive gauche, en face du Louvre, de l'île de la cité et du Pont-Neuf, vers le boulevard Saint Michel. cf Rue Guénégaud, Rue de la Seine, Rue Mazarine(15)

Laurent habite dans le 5° , Rue St Victor vers le jardin des Plantes

 

b) une époque précise

- aucune indication précise de dates mais l'époque est connotée par la population pauvre qui a gagné Paris, par les promenades en barque vers St Ouen sur la scène ( 79), par le port aux vins (35),par les prix, par l'inauguration de la compagnie du Paris Orléans (1843) à laquelle travaille Grivet depuis 20 ans, par le pastiche des soirées du jeudi qu'organise Zola chez lui avec ses amis peintres. D'où 1863.

c) une durée précise

La durée est déterminée très précisément par :

-- évolution de l'âge des personnages :Thérèse doit se marier à 21 ans, Madame Raquin prend sa retraite à 50 ans.

-- les indices précis de chronologie :26,63,64 ,79,100,107,113125,226236, et même l'écoulement des saisons : 77

d) des données chiffrées

-- indication du montant des salaires, rentes et loyers (29,41,45,139,180...)

D'où la récurrence importante de l'adjectif numéral.

e) les détails sordides

L'impasse et la boutique sont déjà des bouges répugnants, humides et noirs. ( 16) , "la première fois" (entre Thérèse et Laurent)(49)

La blessure au cou

La passion de Laurent et Thérèse puis leur exécration.

Le meurtre.

Mais c'est surtout la description de la morgue qui fait son plein de spectateurs avec leur pain sous le bras qui est caractéristique : (99)

f) des personnages-personnes, "réels" à cause de la connaissance exacte que le lecteur a de :

-leur identité sociale : nom, prénom, profession

à savoir : Thérèse Degans , mercière ( franco-algérienne)

Madame Raquin : Retraitée

Camille Raquin : employé à l'administration des chemins de fer (31)

M. Michaud : Commissaire de Police , retraité, voisin et ami de madame Raquin

Olivier Michaud, fils du précédent, 30 ans, commis principal à la préfecture de police et sa femme Suzanne. (3000 francs)

Grivet, ami de Camille, vieil employé du chemin de fer (2000 francs)

Laurent, employé à la gare du chemin de fer (1500 francs)

 

Deuxième partie : Le naturalisme

Thérèse Raquin précède d'un an le plan de la grande expérience des Rougon-Macquart : 19 romans publiés l'un par an à partir de 1871 et précède de 10 ans l'exposé de la théorie Naturaliste élaborée lors des Soirées de Médan. Le Naturalisme est inséparable du Positivisme : la science apportera le bonheur.

 

Zola veut que le roman réaliste soit en plus expérimental et scientifique : qu'il soit une preuve à l'appui des théories sur la psychologie comportementale et sur les lois de l'hérédité et de la génétique. Pour cela il est nécessaire que les faits résultent d'une enquête comme dans toute science expérimentale .

Il met en relation, dans un environnement précis, des tempéraments et observe objectivement les réactions..

Chaque personnage représente l'un des cas de la classification des types psychologiques : ( qui remonte à Hippocrate (V° siècle avant J.C) :

Le sanguin : bien en chair, solide, jouissif

Le mélancolique : maigre, replié, inquiet, nerveux et émotif

Le colérique : irritable, susceptible, agressif, grand et maigre

Le lymphatique : il est flegmatique, gras et mou, douillet, impressionnable

 

Séance 4

Théorie et pratique du naturalisme

A/ La doctrine naturaliste : le refus de la psychologie

"Posséder le mécanisme des phénomènes chez l'homme, montrer les rouages des manifestations intellectuelles et sensuelles telles que la physiologie nous les expliquera, sous les influences de l'hérédité et des circonstances ambiantes, puis montrer l'homme vivant dans le milieu social qu'il a produit lui-même, qu'il modifie tous les jours, et au sein duquel il éprouve à son tour une transformation continue."

Ces lignes du Roman expérimental (1880) enferment toute la doctrine naturaliste. Zola n'a de cesse de le répéter : " le roman expérimental est une conséquence de l'évolution scientifique du siècle ; il continue et complète la physiologie, qui elle-même s'appuie sur la chimie et la physique; il substitue à l'étude de l'homme abstrait, de l'homme métaphysique, l'étude de l'homme naturel, soumis aux lois physico-chimiques et déterminé par les influences du milieu ; il est en un mot la littérature de notre âge scientifique, comme la littérature classique et romantique a correspondu à un âge de scholastique et de théologie."

Zola croit donc pouvoir établir le déterminisme absolu des phénomènes humains et manifeste sa confiance dans la compréhension future, grâce à la science, de la "machine humaine" produite par les influences conjuguées de l'hérédité et du milieu.

Il entend veut représenter des êtres mus par leur sang, dominés par leurs instincts, exprimant en cela sa conception mécaniste de l'humain.

 

Dans Thérèse Raquin, j'ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J'ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus. J'ai cherché à suivre pas à pas dans ces brutes le travail sourd des passions, les poussées de l'instinct, les détraquements cérébraux survenus à la suite d'une crise nerveuse. Les amours de mes deux héros sont le contentement d'un besoin; le meurtre qu'ils commettent est une conséquence de leur adultère, conséquence qu'ils acceptent comme les loups acceptent l'assassinat des moutons; enfin, ce que j'ai été obligé d'appeler leurs remords, consiste en un simple désordre organique, en une rébellion du système nerveux tendu à se rompre. L'âme est parfaitement absente, j'en conviens aisément, puisque je l'ai voulu ainsi.

On commence, j'espère, à comprendre que mon but a été un but scientifique avant tout. Lorsque mes deux personnages, Thérèse et Laurent, ont été créés, je me suis plu à me poser et à résoudre certains problèmes : ainsi, j'ai tenté d'expliquer l'union étrange qui peut se produire entre deux tempéraments différents, j'ai montré les troubles profonds d'une nature sanguine au contact d'une nature nerveuse. Qu'on lise le roman avec soin, on verra que chaque chapitre est l'étude d'un cas curieux de physiologie. En un mot, je n'ai eu qu'un désir : étant donné un homme puissant et une femme inassouvie, chercher en eux la bête, ne voir même que la bête, les jeter dans un drame violent, et noter scrupuleusement les sensations et les actes de ces êtres. J'ai simplement fait sur deux corps vivants le travail analytique que les chirurgiens font sur des cadavres.

Préface (1868). Thérèse Raquin (1867)

 

(Thérèse vit dans une boutique avec son mari, Camille, et sa belle-mère, Mme Raquin. Elle est devenue la maîtresse de Laurent, un ami de son mari, dont l'énergie brutale a réveillé ses instincts.)

Une porte s'ouvrit. Sur le seuil, au milieu d'une lueur blanche, [Laurent] vit Thérèse en camisole, en jupon, toute éclatante, les cheveux fortement noués derrière la tête. Elle ferma la porte, elle se pendit à son cou. Il s'échappait d'elle une odeur tiède, une odeur de linge blanc et de chair fraîchement lavée.

Laurent, étonné, trouva sa maîtresse belle. Il n'avait jamais vu cette femme. Thérèse, souple et forte, le serrait, renversant la tête en arrière, et, sur son visage, couraient des lumières ardentes, des sourires passionnés. Cette face d'amante s'était comme transfigurée, elle avait un air fou et caressant ; les lèvres humides, les yeux luisants, elle rayonnait. La jeune femme, tordue et ondoyante, était belle d'une beauté étrange, toute d'emportement. On eût dit que sa figure venait de s'éclairer en dedans, que des flammes s'échappaient de sa chair. Et, autour d'elle, son sang qui brûlait, ses nerfs qui se tendaient, jetaient ainsi des effluves chauds, un air pénétrant et âcre.

Au premier baiser, elle se révéla courtisane. Son corps inassouvi se jeta éperdument dans la volupté. Elle s'éveillait comme d'un songe, elle naissait à la passion. Elle passait des bras débiles de Camille dans les bras vigoureux de Laurent, et cette approche d'un homme puissant lui donnait une brusque secousse qui la tirait du sommeil de la chair. Tous ses instincts de femme nerveuse éclatèrent avec une violence inouïe ; le sang de sa mère, ce sang africain qui brûlait ses veines, se mit à couler, à battre furieusement dans son corps maigre, presque vierge encore.

[Les deux amants assassinent Camille. Mais, tenaillés par le remords, ils s'entredéchirent et finissent par s'empoisonner.]

 

Recherchez dans le texte la confirmation des préceptes de la préface et, par exemple, noter les termes qui font de Thérèse la victime de son sang.

 

Séance 4

B/ La doctrine naturaliste L'expérimentation scientifique : l'hérédité

 

L'hérédité est la pierre angulaire des Rougon-Macquart. Passionné par sa lecture du Traité philosophique et physiologique de l'hérédité naturelle du Dr Prosper Lucas (1850), Zola y vit une confirmation de ses conceptions déterministes de l'espèce humaine et l'occasion de composer une Comédie humaine inédite.

 

Je veux montrer comment une famille, un petit groupe d'êtres, se comporte dans une société, en s'épanouissant pour donner naissance à dix, à vingt individus, qui paraissent, au premier coup d'œil, profondément dissemblables, mais que l'analyse montre intimement liés les uns aux autres. L'hérédité a ses lois, comme la pesanteur.

Je tâcherai de trouver et de suivre, en résolvant la double question des tempéraments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement d'un homme à un autre homme. Et quand je tiendrai tous les fils, quand j'aurai entre les mains tout un groupe social, je ferai voir ce groupe à l'œuvre, comme acteur d'une époque historique, je le créerai agissant dans la complexité de ses efforts, j'analyserai à la fois la somme de volonté de chacun de ses membres et la poussée générale de l'ensemble.

Les Rougon-Macquart, le groupe, la famille que je me propose d'étudier, a pour caractéristique le débordement des appétits, le large soulèvement de notre âge, qui se rue aux jouissances. Physiologiquement, ils sont la lente succession des accidents nerveux et sanguins qui se déclarent dans une race, à la suite d'une première lésion organique, et qui déterminent, selon les milieux, chez chacun des individus de cette race, les sentiments, les désirs, les passions, toutes les manifestations humaines, naturelles et instinctives, dont les produits prennent les noms convenus de vertus et de vices. Historiquement, ils partent du peuple, ils s'irradient dans toute la société contemporaine, ils montent à toutes les situations, par cette impulsion essentiellement moderne que reçoivent les basses classes en marche à travers le corps social, et ils racontent ainsi le second empire, à l'aide de leurs drames individuels, du guet-apens du coup d'Etat à la trahison de Sedan.

Préface de La Fortune des Rougon (1871) La Bête humaine (1890)

 

(Jacques Lantier est mécanicien à la Compagnie des Chemins de fer de l'Ouest. Depuis sa jeunesse, il est tenaillé par le désir de tuer. Dans ce début de roman, il vient d'éprouver ce besoin irrésistible devant une jeune fille et s'interroge sur sa pulsion.)

Pourtant, il s'efforçait de se calmer, il aurait voulu comprendre. Qu'avait-il donc de différent, lorsqu'il se comparait aux autres ? Là-bas, à Plassans, dans sa jeunesse, souvent déjà il s'était questionné. Sa mère, Gervaise, il est vrai, l'avait eu très jeune, à quinze ans et demi ; mais il n'arrivait que le second, elle entrait à peine dans sa quatorzième année, lorsqu'elle était accouchée du premier, Claude, et aucun de ses deux frères, ni Claude, ni Etienne, né plus tard, ne semblait souffrir d'une mère si enfant et d'un père gamin comme elle, ce beau Lantier, dont le mauvais cœur devait coûter à Gervaise tant de larmes. Peut-être aussi ses frères avaient-ils chacun son mal, qu'ils n'avouaient pas, l'aîné surtout qui se dévorait à vouloir être peintre, si rageusement, qu'on le disait à moitié fou de son génie. La famille n'était guère d'aplomb, beaucoup avaient une fêlure. Lui, à certaines heures, la sentait bien, cette fêlure héréditaire ; non pas qu'il fût d'une santé mauvaise, car l'appréhension et la honte de ces crises l'avaient seules maigri autrefois ; mais c'étaient, dans son être, de subites pertes d'équilibre, comme des cassures, des trous par lesquels son moi lui échappait, au milieu d'une sorte de grande fumée qui déformait tout. Il ne s'appartenait plus, il obéissait à ses muscles, à la bête enragée. Pourtant, il ne buvait pas, il se refusait même un petit verre d'eau-de-vie, ayant remarqué que la moindre goutte d'alcool le rendait fou. Et il en venait à penser qu'il payait pour les autres, les pères, les grands-pères, qui avaient bu, les générations d'ivrognes dont il était le sang gâté, un lent empoisonnement, une sauvagerie qui le ramenait avec les loups mangeurs de femmes, au fond des bois. (ch. II)

A travers ce propos sur l'hérédité, Zola se défend pourtant de tout fatalisme. Le docteur Pascal, dans le roman éponyme qui clôt les Rougon-Macquart, doute même de l'atavisme et constate que les ressemblances disparaissent au bout de deux ou trois générations en raison des accidents et des multiples combinaisons possibles. "Il y avait donc là un perpétuel devenir, une transformation constante dans cet effort communiqué, cette puissance transmise, cet ébranlement qui souffle la vie à la matière et qui est toute la vie."

 

Sur le texte de la préface :

1/ En relisant la préface ci-dessus, relevez les termes qui appartiennent au champ lexical de l'expérience scientifique.

2/ Sachant que l'influence des milieux familiaux et historiques correspond à l'acquis et que l'influence du tempérament correspond à l'inné, posez le plus clairement possible le problème que veut analyser Zola en ce qui concerne les rapports héréditaires dans une dynastie.

Sur l'extrait de roman.

Comment Lantier explique-t-il finalement ses pulsions de violence ? Comment s'appelle la figure de style présente dans le titre de ce roman ? Montrez que le titre est judicieux.

 

Séance 5 :

C/ La doctrine naturaliste : L'influence du milieu

Pour cet autre credo de la doctrine naturaliste, Zola rejoint le réalisme de Balzac ou de Flaubert : l'écrivain entreprend de traverser tous les milieux de la société du Second Empire, et, pour chacun d'eux, amasse une documentation colossale. Celle-ci n'est pas que livresque : il fait un voyage en chemin de fer pour se documenter sur le rail et les locomotives (La Bête humaine), parcourt le quartier de la Goutte d'Or en quête d'un langage populaire authentique (L'Assommoir), assiste même, missel en main, à une messe pour que La Faute de l'abbé Mouret puisse décrire la liturgie catholique avec exactitude !

 

Dans l'étude d'une famille, d'un groupe d'êtres vivants, je crois que le milieu social a [...] une importance capitale. Un jour, la physiologie nous expliquera sans doute le mécanisme de la pensée et des passions ; nous saurons comment fonctionne la machine individuelle de l'homme, comment il pense, comment il aime, comment il va de la raison à la passion et à la folie ; mais ces phénomènes, ces faits du mécanisme des organes agissant sous l'influence du milieu intérieur, ne se produisent pas au dehors isolément et dans le vide. L'homme n'est pas seul, il vit dans une société, dans un milieu social, et dès lors pour nous, romanciers, ce milieu social modifie sans cesse les phénomènes. Même notre grande étude est là, dans le travail réciproque de la société sur l'individu et de l'individu sur la société. Pour le physiologiste, le milieu extérieur et le milieu intérieur sont purement chimiques et physiques, ce qui lui permet d'en trouver les lois aisément. Nous n'en sommes pas à pouvoir prouver que le milieu social n'est, lui aussi, que chimique et physique. Il l'est à coup sûr, ou plutôt il est le produit variable d'un groupe d'êtres vivants, qui, eux, sont absolument soumis aux lois physiques et chimiques qui régissent aussi bien les corps vivants que les corps bruts. Dès lors, nous verrons qu'on peut agir sur le milieu social, en agissant sur les phénomènes dont on se sera rendu maître chez l'homme.

Le Roman expérimental (1880) L'Assommoir (1877)

 

(Le roman raconte l'histoire de Gervaise Macquart. Abandonnée par son amant Lantier, seule à Paris avec deux enfants, elle témoigne d'un idéal de vie laborieuse et honnête qui se concrétise par l'achat d'une blanchisserie. Mais l'accident dont est victime son mari Coupeau, et la compensation qu'il trouve dans la boisson, précipitent le ménage dans la misère.)

Deux années s'écoulèrent, pendant lesquelles ils s'enfoncèrent de plus en plus. Les hivers surtout les nettoyaient. S'ils mangeaient du pain au beau temps, les fringales arrivaient avec la pluie et le froid, les danses devant le buffet, les dîners par cœur, dans la petite Sibérie de leur cambuse. Ce gredin de décembre entrait chez eux par-dessous la porte, et il apportait tous les maux, le chômage des ateliers, les fainéantises engourdies des gelées, la misère noire des temps humides. Le premier hiver, ils firent encore du feu quelquefois, se pelotonnant autour du poêle, aimant mieux avoir chaud que de manger ; le second hiver, le poêle ne se dérouilla seulement pas, il glaçait la pièce de sa mine lugubre de borne de fonte. Et ce qui leur cassait les jambes, ce qui les exterminait, c'était par-dessus tout de payer leur terme. Oh ! le terme de janvier, quand il n'y avait pas un radis à la maison et que le père Boche présentait la quittance ! Ça soufflait davantage de froid, une tempête du Nord. M. Marescot arrivait, le samedi suivant, couvert d'un bon paletot, ses grandes pattes fourrées dans des gants de laine ; et il avait toujours le mot d'expulsion à la bouche, pendant que la neige tombait dehors, comme si elle leur préparait un lit sur le trottoir, avec des draps blancs. Pour payer le terme, ils auraient vendu de leur chair. C'était le terme qui vidait le buffet et le poêle. Dans la maison entière, d'ailleurs, une lamentation montait. On pleurait à tous les étages, une musique de malheur ronflant le long des escaliers et des corridors. Si chacun avait eu un mort chez lui, ça n'aurait pas produit un air d'orgues aussi abominable. Un vrai jour de jugement dernier, la fin des fins, la vie impossible, l'écrasement du pauvre monde.

(ch. X)

(Gervaise finit par céder, elle aussi, à l'alcool et mourra dans la plus noire déchéance, sous un escalier.)

J'ai voulu peindre la déchéance fatale d'une famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de l'ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l'oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénouement, la honte et la mort. C'est de la morale en action, simplement. [...] C'est une œuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l'odeur du peuple. Et il ne faut point conclure que le peuple tout entier est mauvais, car mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu'ignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent.

Préface de L'Assommoir (1877)

 

Vous pourrez montrer en quoi ce tableau de la misère porte les traces d'un véritable réquisitoire politique. Zola donne en effet à la peinture naturaliste des milieux un but humanitaire, voire politique : "Quand les temps auront marché, quand on possèdera les lois, il n'y aura plus qu'à agir sur les individus et sur les milieux, si l'on veut arriver au meilleur état social. C'est ainsi que nous faisons de la sociologie pratique et que notre besogne aide aux sciences politiques et économiques. [...] Être maître du bien et du mal, régler la vie, régler la société, résoudre à la longue tous les problèmes du socialisme, apporter surtout des bases solides à la justice en résolvant par l'expérience les questions de criminalité, n'est-ce pas là être les ouvriers les plus utiles et les plus moraux du travail humain ?" (Le Roman expérimental).

 

 

 

Séances 7 et 8 Etude des extraits

Premier extrait : vers le commentaire : Zola nous décrit un quartier parisien de façon particulièrement réaliste.

 

Deuxième extrait : a) Zola nous fait revivre une scène ( la théâtralisation et le discours direct )

b) Cette page est tragique (fatalité de la passion, avilissement involontaire)

 

Troisième extrait a) le registre fantastique et symbolique

 

Quatrième extrait a) le réalisme morbide

b) la pourriture vivante

 

Séance 9 La notion de " Bon goût "

Le laid : peinture, littérature baroque

Le Classicisme et les bienséances.

 

Séance 10

Image : étude comparative des illustrations de couverture des diverses éditions de Thérèse Raquin (leur rôle dans la diffusion du livre).

 

Séance 11

 

Projection de l'adaptation cinématographique de Marcel Carné. (2h)

Projection de Moderato Cantabile n Film de Peter Brook 1960

 

Séance 12 Evaluation

 

Devoir : Soit : Ecrire une lettre au professeur pour justifier une préférence pour l'anti-roman ou le roman traditionnel.

Soit : Imaginez le procès de Thérèse Raquin : sa défense et/ou son accusation.

 

Autre sujet :

  Ce que disent les frères Goncourt au sujet du roman naturaliste peut-il s'appliquer à Thérèse Raquin ? ( VOIR LE TEXTE CI-DESSOUS)

Il nous faut demander pardon au public de lui donner ce livre, et l'avertir de ce qu'il y trouvera.

Le public aime les romans faux : ce roman est un roman vrai.

Il aime les livres qui font semblant d'aller dans le monde : ce livre vient de la rue.

Il aime les petites œuvres polissonnes , les mémoires de filles , les confessions d'alcôves , les saletés érotiques, le scandale qui se retrouve dans une image aux devantures des librairies: ce qu'il va lire est sévère et pur. Qu'il ne s'attende point à la photographie décolletée du plaisir : l'étude qui suit est la clinique de l'Amour.

Le public aime encore les lectures anodines et consolantes, les aven-tures qui finissent bien, les imaginations qui ne dérangent ni sa digestion ni sa sérénité: ce livre, avec sa triste et violente distraction, est fait pour contrarier ses habitudes et nuire à son hygiène.

Pourquoi donc l'avons-nous écrit ? Est-ce simplement pour choquer le public et scandaliser ses goûts ?

Non.

Vivant au XIX siècle, dans un temps de suffrage universel, de démo-cratie, de libéralisme, nous nous sommes demandé si ce qu'on appelle " les basses classes " n'avait pas droit au Roman, si ce monde sous un monde, le peuple, devait rester sous le coup de l'in-terdit littéraire et des dédains d'auteurs, qui ont fait jusqu'ici le silence sur l'âme et le cœur qu'il peut avoir. Nous nous sommes demandé s'il y avait encore, pour l'écrivain et pour le lecteur, en ces années d'égalité où nous sommes, des classes indignes, des malheurs trop bas, des drames trop mal embouchés , des catastrophes d'une terreur trop peu noble. Il nous est venu la curiosité de savoir si cette forme conventionnelle d'une littérature oubliée et d'une société disparue, la Tragédie, était définitivement morte ; si dans un pays sans caste et sans aristocratie légale, les misères des petits et des pauvres parleraient à l'intérêt, à l'émotion, à la pitié, aussi haut que les misères des grands et des riches, si, en un mot, les larmes qu'on pleure en bas, pourraient faire pleurer comme celles qu'on pleure en haut.

Ces pensées nous avaient fait oser l'humble roman de Sœur Philomène, en 1861 elles nous font publier aujourd'hui Germinie Lacerteux.

Maintenant, que ce livre soit calomnié : peu lui importe. Aujour-d'hui que le Roman s'élargit et grandit, qu'il commence à être la grande forme sérieuse, passionnée, vivante de l'étude littéraire et de l'enquête sociale, qu'il devient, par l'analyse et par la recherche psy-chologique, l'Histoire morale contemporaine; aujourd'hui que le Roman s'est imposé les études et les devoirs de la science, il peut en revendiquer les libertés et les franchises. Et qu'il cherche l'Art et la Vérité ; qu'il montre des misères bonnes à ne pas laisser oublier aux heureux de Paris ; qu'il fasse voir aux gens du monde ce que les dames de charité ont le courage de voir, ce que les Reines d'autre-fois faisaient toucher de l'œil à leurs enfants dans les hospices : la souffrance humaine, présente et toute vive, qui apprend la charité ; que le Roman ait cette religion que le siècle passé appelait de ce vaste et large nom : Humanité; - il lui suffit de cette conscience : son droit est là.

 

Paris, octobre 1864. Frères Goncourt, Préface de Germinie Lacerteux, 1865.