Daniel, le mari de Martine, est tombé amoureux d'une autre femme. Il vient annoncer à Martine son intention de divorcer... et voilà que la belle brune qu'il avait aimée devient une abominable chauve-souris.

La chauve souris

(...) Rien ne peut se comparer à l'éclatement qui se produisit dans le petit appartement, lorsque Daniel vint très simplement demander le divorce à Martine. Il y avait surgi un grand oiseau noir. Il se débattait, se cognait contre les murs, renversait de ses ailes des meubles, des objets, se faisait mal... Non, pas un oiseau, une chauve-souris! Le vol désordonné d'une chauve-souris aveuglée par la lumière, les ailes tranchantes, sinistre, infernale, épouvantable comme une araignée, comme les fils poussiéreux de ses pièges mous, comme la prise définitive des crampons crochus de ses griffes dans les cheveux des mortels ; ni oiseau ni bête, vivant à l'orée d'un monde noir peuplé d'animaux fantastiques, rampant, volant, galopant, crachant du feu et des glaires, piquant, mordant, mâchant menu ou avalant d'une pièce leur proie, pointant leurs dards, claquant des mâchoires, les gueules ouvertes... Les chauves-souris tournent, cisaillent l'air à l'entrée des ténèbres, n'osant ni rester, ni quitter ce monde pour l'abîme, là-bas...

Elsa Triolet Roses à Crédit (1958)

 

Explication

Pour l'introduction outre le titre de l'œuvre et le nom de l'auteur, il serait bien que soient identifiés le genre : roman / romancière , et le type de texte : narratif . L'appellation de "scène" fournie par le sujet met l'accent sur l'aspect descriptif du récit et permet de tolérer : "texte descriptif". La notion "d'extrait" peut être remplacée par "paragraphe".

 A) la violence de la scène

La scène provoque une émotion très forte à cause de la violence : une violence qui provient de différents effets

- Champ lexical de la violence, de l'agressivité.

- Champ lexical de l'agitation, mieux du tourbillon.

- Profusion de verbes d'action et juxtaposition des verbes ( ellipse du "il") dans la 3° phrase.

- Profusion de virgules ->rythme rapide, saccadé.

- Mélange de phrases longues et de phrases courtes, de phrases complexes et de phrases nominales ->désordre,chaos.

- Utilisation de l'indéfini : "des meubles, des objets"

- Variété de constructions : phrase affirmative et exclamative.

- Accumulation d'adjectifs qualificatifs + trois comparaisons

- Accumulation de participes présents et effet d'harmonie imitative de la rage obtenu par la récurrence du son "an", (homéotéleutes), par les allitérations (nombreuses séries de consonnes "explosives" : p, t, k; et de consonnes "sifflantes" : s, v, f, ch,).-> tapage

- Champ lexical du bruit

- Répétition de mots "chauve-souris, oiseau, ni, comme"

- le halètement : précipitation des mots qui s'anticipent, se rectifient, se nuancent . Même effet obtenu par les points de suspension.

- la disproportion : Daniel est venu " simplement" : le narrateur-témoin en apparence neutre dévoile ici son point de vue ironique ou même cruel.

B) L'hallucination

Le point de vue descriptif est celui de Daniel : un témoin muet, passif qui transfigure totalement la réalité : ce n'est plus une femme, sa femme qui est en face de lui mais une harpie, une chimère, une créature de cauchemar laide et méchante.

Daniel voit et entend toute autre chose que ce qui est parce qu'il ne peut nommer la réalité.

Il y a eu "éclatement", "il y avait surgi".

L'utilisation de verbes au présent de l'indicatif à la fin du paragraphe atteste "la réalité du cauchemar".

La belle brune est devenue la chauve-souris. Correspondance entre bras et ailes, ongles et griffes, gesticulation et vol.

Martine a perdu sa dimension humaine : champ lexical de la "bête", du monstre, du dragon : un être hybride : cheval (galopant), insecte( dard), serpent (rampant), lion( gueules)

Allusion au monde des "mortels", parallèle au nouveau monde de Martine.

L'imaginaire de Daniel la surdimentionne : elle occupe tout le volume du "petit" appartement.

Tous les éléments spécifiques au cauchemar sont réunis : le piquant, le visqueux, le brûlant. "mou, feu,glaire, fils, pièges, dard, crampons" . C'est Hitchcock.

Le noir connote le Mal, le diabolique et cache "l'abîme"

Conclusion

Richesse du texte.

Destruction de l'image idyllique : de l'amour à la peur de l'autre... Quand la réalité devient indescriptible le fantastique apparaît.

Film de Besson : Nikita, ou Adjani dans Camille Claudel